XVIII

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"L'amour supporte mieux l'absence ou la mort que le doute ou la trahison. "

-André Maurois, Climats

Elias

Je ne toucherai plus jamais à un verre d'alcool de ma vie.

Je m'en fais la promesse à l'instant même où j'ouvre les yeux. La douleur est telle qu'elle me soulève l'estomac. Si j'avais avalé quoi que ce soit au cours des dernières vingt-quatre heures, je crois bien que je me serais misérablement vomi dessus.

Ce n'est qu'au moment où je parviens à me hisser en position assise que je remarque où je me trouve : le bureau de Maxime, notre QG. Mon cœur se serre à l'idée qu'il ne reverra peut-être jamais cette pièce. Cléa et moi passons tous nos vendredis soir ici depuis que Max travaille au café. Il a commencé l'été de nos quinze ans en tant que serveur le week-end et le mercredi après-midi puis, lorsqu'il a enfin été débarrassé de ses obligations scolaires, il s'est fait engager à plein temps. L'année dernière, à la mort du vieux Jacob qui avait créé l'établissement il y a plus de trente ans, il est devenu le nouveau patron. Autant dire que cet endroit, c'est une bonne partie de sa vie et surtout la représentation de tout ce qu'il a accompli. Pour ses parents, il occupe un simple job minable et n'a même pas été capable de tenter sa chance à l'université mais selon moi, il a fait bien plus que ça. Cela fait des années qu'il travaille dur pour faire de cet établissement ce qu'il est aujourd'hui, pour garder les caisses pleines et pour ça, il mérite une certaine reconnaissance.

J'espère que voir leur fils dans un comas dont il ne se réveillera peut-être jamais, poussera monsieur et madame Clairet à se rendre compte qu'il mérite bien mieux que leur mépris et indifférence perpétuelle. En fait, j'espère que cela aidera aussi Cléa à voir à quel point elle tient à lui. Après tout, c'est son jumeau et même si elle le cache très bien, elle doit forcément être rongée par l'inquiétude et la tristesse en ce moment-même. Cependant, je la connais depuis assez longtemps que pour savoir qu'elle ne l'admettra jamais, même à demi-mot.

Mon corps tout entier hurle de douleur lorsque je pose mes deux pieds par terre. Mes doigts sont presque tous gonflés et bleus et je sens un léger tiraillement au niveau de ma joue gauche. Je passe une main sur mon visage et sens des sparadraps sur mon arcade sourcilière. Cléa a dû prendre soin de les poser.

Une pointe de panique fait alors son apparition : dans quel état étais-je donc ? Je me souviens parfaitement d'avoir quitté la maison de mes parents mais à partir de ce moment-là, il ne me reste qu'un énorme trou noie. Si je prenais la peine d'essayer de me rappeler, peut-être que mes souvenirs reviendraient mais pour le moment, la douleur qui vrille mon crâne est bien trop forte pour que je puisse me concentrer sur quoi que ce soit.

Je me traine hors du canapé et attrape mon pull qui traine par terre. Cependant, à la vue des traces de sang qui maculent les manches, je le lâche immédiatement. Je préfèrerais encore mourir de froid plutôt que de le porter. Je tâtonne les poches de mon pantalon mais n'y trouve ni mon téléphone, ni mon portefeuille. J'espère que Cléa les a récupérés et qu'ils ne trainent pas quelque part chez mes parents. Je n'ai pas vraiment envie d'y retourner pour récupérer mes affaires.

Lorsque j'ouvre la porte qui sépare le QG du café, la voix de Théa me parvient.

-Tu avais promis de m'expliquer, dit-elle.

-Et je le ferai, répond Cléa, mais pas maintenant.

-Je n'aime pas l'idée de lui mentir ouvertement.

Théa soupire et j'entends le bruit d'une chaise qu'on déplace.

-On ne lui ment pas ouvertement étant donné qu'on ne lui en parlera pas.

NoxWhere stories live. Discover now