Mai 1644

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"There was beauty in the idea of freedom but it was an illusion.
Every human heart was chained by love."
—Cassandra Clare, "Lady Midnight"

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La jalousie.

Cette convoitise qui s'installe sous votre peau et qui, petit à petit, branche après branche, y fait son nid pour finir par ne plus jamais vous quitter. Ce désir coriace et entêtant qui semble résister au temps, aux larmes et à toutes vos vaines tentatives pour le chasser. Cette envie inassouvie et malsaine qui tourne à l'obsession et vous tient éveillé la nuit, ressassant sans cesse les mêmes images, les mêmes mots, les mêmes absences. Cette terrible jalousie qui vous dévore de l'intérieur. Quel sentiment plus humain que celui-là ?

Elle puise sa force dans le creux de votre poitrine, se nourrissant avidement de chacune de vos émotions primaires. Peur, amour, haine, tristesse, rien ne lui échappe. Je me plais à la comparer à un parasite. Vous savez pertinemment qu'elle vous ronge et causera votre perte mais vous ne pouvez vous en débarrasser. Elle est là, quelque part en vous, intouchable et invincible. Il ne vous reste plus qu'à espérer qu'elle s'éteindra d'elle-même, comme une flamme manquant d'oxygène. Une mort à petit feu, en quelque sorte.

Cette jalousie, avec toute l'ardeur dont elle est capable, a rasé des villes et mis des nations à feu et à sang. Elle a déclaré autant des guerres qu'elle n'a causé des défaites. De tout temps, elle a animé le cœur de chaque homme et de chaque femme. Il est tout simplement impossible de lui échapper, peu importe où vous vous cachez, elle finira un jour par vous trouver.

Au cours des siècles j'ai bien sûr été témoin des ravages qu'elle pouvait causer. Elle et moi travaillons bien souvent ensemble, les deux fléaux que nous incarnons étant presque indissociables. Cependant, malgré son aspect violent et sanguinaire, je reste persuadé de sa pureté et dois bien avouer la fascination que je lui porte. Je ne pourrai jamais la ressentir dans ma chair tout comme vous, mais je tâche de l'appréhender et de la comprendre. Le problème étant que, même après toutes ces années, elle me semble toujours aussi imprévisible. Vous ne pouvez savoir quand elle surviendra, où et contre qui elle sera dirigée. Si elle jalousie continue encore de me surprendre, je ne suis pourtant pas le seul dans cette situation.

Aujourd'hui, je vais vous présenter une de ses vieilles amies ou du moins, une personne qui l'a endurée et portée plus que quiconque.  Vous souvenez vous de notre dernière rencontre ? Je vous avais conté la suite des aventures de mademoiselle Eléonore Martel et de monsieur Henri Lefèvre, mes amants maudits favoris. Enfin, lorsque je vous parle d'aventure, n'y voyez pas là une grande odyssée jalonnée d'exploits mémorables et de batailles épiques. Certes, vous avez et pourrez encore fait la connaissance d'héros mais aucun d'eux ne porte de cuirasse étincelante ou d'épée aux pouvoirs divins. Non, je vous parle ici d'héros du quotidien dont l'Histoire a oublié les noms et les visages. De simples anonymes ayant pourtant mérité une plaque de bronze ou une stèle gravée de leurs traits mais dont personne, sauf peut-être moi, ne saluera la bravoure.

La petite voix était l'une de ces personnes. Ni tout à fait blanche et pure, ni noire et corrompue non plus, elle était faite d'un millier de nuances de gris allant de la plus claire à la plus sombre. Cela fit d'elle une proie parfaite pour les pires vices humains qui, un par un, tentèrent de se frayer un passage à travers sa chevelure blonde pour s'enraciner dans son esprit. Elle connut la haine, la rancune, la terreur, le regret, le mépris mais surtout, cette jalousie entêtante dont je vous ai tant parlé.

Pour vous conter son histoire, je dois vous emmener bien des années auparavant. Commençons notre parcours en 1635 et remontant le temps jusqu'en 1644, soit un an avant les évènements dont nous parlions la dernière fois.

NoxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant