Août 1645

990 127 61
                                    

"It's better to burn out than to fade away."
―   Neil Young

***
« Je peux sauver ton enfant seulement si tu passes aux aveux aujourd'hui. Ils t'ont déjà accordé un mois, tu n'auras pas un jour de plus. C'est le meilleur marché que je puisse te proposer : sa vie ou la tienne. »

Voilà la première chose qu'entend mademoiselle Martel après avoir mis au monde son petit garçon. Elle n'eut pas eu le temps d'admirer cet enfant inespéré, de le serrer contre son cœur qu'on le lui arracha. La seule chose qu'elle eut le temps de faire fut de crier son nom.

« Il s'appelle Théodore ! S'il vous plait, dites-leur qu'il s'appelle Théodore. »

Elle n'eut pas le temps non plus de sécher ses larmes avant qu'Elisabeth pénètre dans la petite cellule. Ses cheveux s'échappent de son capuchon comme des vagues d'or, ses yeux sont brillants et plein de vie, son visage clair et lumineux. Elle représente tout ce qu'Eléonore était il y a encore quelques semaines : une jeune femme forte, libre et au summum de sa beauté.

« Pourquoi, Elisabeth ? Tu as tout fait pour que je me retrouve ici et désormais, tu veux sauver mon fils.»

Je comprends le désarroi de notre jeune amie. Il est si difficile de trouver un sens à cette histoire lorsque l'on ne possède pas toutes les pièces du puzzle. Evidemment, elle ne sait pas tout, comment le pourrait-elle ?

« J'ai fait une promesse, voilà tout. Je sauve ton fils si tu leur donnes ce qu'ils veulent. Mon offre expire dans quelques minutes, fais ton choix. »

Comme s'il y avait réellement un choix à faire... Eléonore le sait, soit elle leur donne sa vie, soit ils la prendront et entraineront Théodore avec elle. Cette petite vie innocente, ce petit bout d'homme qu'elle a porté pendant neuf mois, doit être protégé. Elle ne peut pas supporter l'idée que l'on lui fasse du mal à lui, sa chaire et son sang. Bien sûr, elle fera tout ce qu'Elisabeth lui demande même si elle ne peut être certaine qu'elle tiendra parole.

« Je le ferai. Que ce soit aujourd'hui ou demain, ça m'est égal. Je n'ai plus aucune raison de vivre, de toute façon. »

Elisabeth lui accorde un signe de tête mais ne la regarde toujours pas dans les yeux. La culpabilité la ronge un peu plus chaque jour mais elle sait que c'est le prix à payer pour cesser de vivre dans le péché constant. Même dans ces vêtements déchirés et tâchés de sang, les cheveux coupés et sales, le visage presque déformés par les cicatrices, Eléonore parvient toujours à avoir ce pouvoir sur elle. Ce pouvoir d'attraction, si fort et obsédant, qui la poursuit depuis des années. Dans quelques heures, elle en sera débarrassée et pour cela, sa culpabilité est un faible prix à payer.

« Dis-moi juste comment se porte Henri. Que lui ont-ils fait ? Pourrais-je le voir ? Comment va-t-il ? »

« Il est en vie. »

Beaucoup ne considèrerait pas ces quelques mots comme une réponse satisfaisante mais pour mademoiselle Martel, ils sont une véritable délivrance. Henri est vivant, ils l'épargneront dès qu'elle sera passée aux aveux. Elle n'aurait pas pu en demander plus. Elle ne peut plus rien pour sa propre vie mais elle peut encore tenter de sauver celle des deux personnes qui lui sont les plus chères. Des larmes de joie se mettent à couler le long de ses joues crasseuses et pour la première fois depuis longtemps, elle ressent une forme d'espoir. 

Eléonore l'a compris : craindre, c'est tomber ; vivre, c'est tenter de se relever mais mourir, c'est finalement accepter sa chute. C'est ce qu'elle fait en ce moment-même : elle accepte sa défaite. Continuer à se débattre ne pourrait que causer du tort autour d'elle. A quoi bon blesser d'autres personnes si elle peut être la seule à souffrir ?

NoxWhere stories live. Discover now