XII

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"There are no secrets that time does not reveal."
-Tertullien, Apologétique

Elias

Mon karma doit se trouver dans un état pitoyable.

C'est la seule chose qui me vient à l'esprit lorsque Théa s'évanouit -à nouveau- sur le siège passager. Pilant sur les freins, je ne prends même pas la peine de me garer sur le côté de la route. Après tout, qui pourrait bien passer par ici en pleine nuit ?

Sa tête tombe mollement sur son épaule tandis que je l'attrape par les bras pour la secouer. Ses cheveux pendent devant son visage et je les chasse d'une main impatiente pour prendre son pouls au niveau de sa gorge. Au moment où je sens les pulsations sous mes doigts, je lâche un soupire de soulagement et remercie un Dieu en lequel je ne crois pas. Je prononce alors plusieurs fois son nom mais à aucun moment elle ne réagit.

C'est la troisième fois qu'elle s'évanouit depuis que je la connais, la troisième fois en une soirée. Je devrais appeler une ambulance sur le champ. C'est plutôt alarmant, non ? Pourtant, je reste là, à fixer ses yeux clos en priant pour qu'elle reprenne conscience. Et si elle ne se réveillait pas ? Et si Max ne se réveillait pas lui aussi ? S'il lui arrivait quoi que ce soit, je ne me le pardonnerais jamais. Comment vivre avec la mort d'une parfaite étrangère sur la conscience ?

Décidant de prendre les choses en mains, je me secoue et finis par redémarrer la voiture. Ce sera probablement plus rapide de me rendre à l'hôpital de Rochester que d'appeler une ambulance. Alors que je me réengage sur la route chaotique qui relie le lac à une chaussée plus praticable, je reçois un message de Cléa.

« Bordel Elias, tu fous quoi ? »

La culpabilité me tord alors le ventre. Ma meilleure amie se trouve à l'hôpital, attendant seule avec ses enfoirés de parents que son frère se réveille d'un accident de voiture aux allures de suicide et moi, je ne suis même pas là pour la soutenir. Je peux presque sentir mon karma s'assombrir encore plus.

Lorsque j'aperçois l'hôpital de Rochester, après quinze interminables minutes de trajet, l'endroit semble presque désert. Le bâtiment est plongé dans l'obscurité et seules quelques voitures sont garées çà et là. Je jette un coup d'œil furtif au tableau de bord au moment où je m'engage dans le parking vide réservé aux urgences. Il est presque trois heures du matin, je commence à sentir la fatigue emplir mon corps et plonger mon cerveau dans un état proche de la léthargie.

A l'instant où je coupe le moteur, la sonnerie de mon téléphone retentit dans l'habitacle. Sur l'écran s'affiche une photo de Cléa et moi, prise l'été passé lorsque nous repeignions les murs de ma petite chambre d'étudiant. Nous avons tous les deux de la peinture bleue dans les cheveux, les siens sont rassemblés en un chignon informe, ma tête est posée sur son épaule. On ressemblerait presque à des frères et sœurs ou à un jeune couple. Presque.

J'enfonce mon portable dans la poche arrière de mon jeans sans prendre la peine de décrocher et cours jusqu'à la réception. Une petite femme d'une cinquantaine d'années, les cheveux grisonnants se tient derrière le comptoir, le regard fatigué et blasé. Alors que je tente de reprendre mon souffle, je lui demande :

-J'ai besoin d'un médecin immédiatement. Mon amie s'est évanouie dans ma voiture depuis une dizaine de minutes. Faites vite s'il vous plait !

Mes mots sont saccadés, ma respiration laborieuse, si bien que je suis persuadée que mon interlocutrice ne m'a pas comprise. Je m'apprête à me répéter lorsqu'elle m'interrompt :

-Il va falloir vous enregistrer avant, jeune homme, dit-elle d'une voix lasse. J'aurais besoin de votre carte d'identité et de vos papiers de...

-Ecoutez, je crie presque, il y a une jeune fille qui s'est évanouie dans ma voiture Je ne suis pas médecin mais je suis certain que ça pourrait être grave ! Allez la chercher, soignez la et ensuite je vous donnerai tous les papiers dont vous avez besoin.

NoxWhere stories live. Discover now