Y - Ylang-Ylang

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Nathalie Kosciusko-Morizet, Ministre de l'environnement et de la transition énergétique

Imaginer l'avenir, se projeter dans un futur modifié par les décisions prises aujourd'hui, en réussissant à retracer à rebours le chemin qui, de bifurcation en bifurcation, va vous emmener dans cet environnement futur. Alors, si l'exercice est réussi, noter scrupuleusement le cheminement découvert et hâter vous de vous mettre sur la route.

La prospective ; le point d'arrivée est finalement le point de départ de l'action politique. Savoir où on veut aller. Mais comment le sait-on ? Comment visualiser ce nouvel environnement dont tous les détails vous satisfont mais que pour tant, vous n'êtes pas capable de décrire à brûle-pourpoint aujourd'hui ? Il n'y a pas d'autres solutions que de prendre appui sur les bases d'aujourd'hui pour faire ce saut dans le futur ; si votre appui est mauvais, vous risquez d'atterrir au mauvais endroit. Attention à votre appui.

Ces métaphores du chemin à rebours à recopier pour décider du chemin à suivre et du saut en longueur sur des appuis solides me viennent de Valérie Lubrioli qui m'expliquait ainsi pourquoi, sur des sujets qui n'étaient pourtant pas nos priorités de court terme comme la transition écologique ou la transition énergétique, elle passait tant de temps et apportait tant d'attention à essayer de comprendre les tenants et les aboutissants. Préparer l'avenir, c'est s'intéresser aux problèmes d'après ; par construction, ils sont moins importants puisqu'ils n'ont pas été retenus dans les priorités ; ils sont moins connus aussi. Avantage : plus de temps pour arrêter les bons choix ; inconvénient : la marge d'erreur, en cas de mauvais appuis, est aussi plus importante.

Pour réduire cette marge d'erreur, il faut recueillir le maximum d'informations, viser l'exhaustivité des angles de vue, des points de vue. Rencontrer ceux qui savent, ceux qui ont réfléchi, ceux qui vivent tout simplement. Nous avons été un certain nombre au Gouvernement embarqués dans ces immersions sur le terrain par la Présidente qui souhaitait que le Ministre ou le Secrétaire d'Etat concerné soit de la partie. La plupart du temps une demi-journée, souvent une journée, parfois plus - jusqu'à trois jours à Mayotte -,nous nous sommes retrouvés en combinaison, bleu de travail, en tenue de laborantin, casqués, bottés, masqués, à discuter, à manger, à réfléchir avec les cadres, les ouvriers, les paysans, les pêcheurs, les ingénieurs, évoquant leur métier d'aujourd'hui, essayant d'identifier les points forts, les faiblesses, les irritants, tentant d'identifier des solutions, des améliorations, des progrès.

Estelle Grelier, notre Secrétaire d'Etat aux Transports, la Mer et la Pêche, se souviendra longtemps de la sortie en mer sur un bateau de pêche de Boulogne. Départ à quatre heures, temps très médiocre au début et mer formée ensuite au point de rendre malade les deux nouvelles recrues du jour, elle et la Présidente. Et pourtant, de retour, on ne part pas à l'hôtel pour se remettre avant de regagner Paris ; on suit un des marins pêcheurs chez lui et après une douche revigorante, autour d'un repas chaud, on poursuit sur les questions à la recherche des réponses. On mange, on boit local. Difficile aussi parfois cet aspect de l'immersion locale.

Le planning, les interlocuteurs, les visites sont préparées des semaines à l'avance entre le Secrétaire d'Etat concerné et le cabinet de la Présidente. Trouver les bonnes personnes n'est pas le plus difficile. Le plus compliqué est de maintenir le secret dans l'entreprise ou l'entourage des personnes visitées mais surtout, dans les media. Quand le principe et le détail du programme est fixé, on laisse ensuite reposer. Le temps que les interlocuteurs identifiés finissent par croire que cette visite présidentielle ne se fera pas et que leur entourage se démobilise. Et puis, deux ou trois jours avant, on recontacte nos interlocuteurs pour leur annoncer que la visite va se faire dans les prochains jours, qu'ils se tiennent près. Ce n'est que la veille qu'ils connaissent la vraie date de la venue de la Présidente.

La sécurité est un autre problème. La sécurisation des lieux ne peut avoir lieu que dans l'heure précédant notre arrivée pour ne pas alerter le landerneau. Ensuite, quand la visite est commencée, le téléphone arabe fonctionnant très bien à l'ère du portable, c'est de l'extérieur qu'il faut se préserver, les badauds, les media. Maintenir une bulle pour continuer à pouvoir vivre le quotidien vrai de nos interlocuteurs.

L'improvisation s'invite à chaque fois dans ces visites pourtant très organisées car il y a toujours un moment ou un interlocuteur, un propos, se distingue et la Présidente veut suivre le fil, tirer la pelote.

On peut ainsi voir prévu une journée d'immersion locale dans la continuité d'une visite officielle et se retrouver ainsi deux jours et demi au bout du monde. C'est ce que j'ai vécu à Mayotte où Valérie Lubrioli avait souhaité une journée avec différents acteurs de l'île à la recherche de solutions pour ce département « improbable », ce « boulet », ce « nid à problèmes » - les mots sont ceux de la Présidente. Et puis, on nous parle des atouts écologiques de l'île, de la flore notamment. On découvre que les Comores sont le principal producteur d'Ylang-Ylang que s'arrachent tous les parfumeurs du monde entier depuis que Bois des Îles de Coco Chanel ou Joy de Jean Patou l'ont popularisé ; notre Chanel N°5 en contient lui aussi. Alors, on commence sur place à construire un plan de développement pour Mayotte et on reste un jour de plus que prévu, les distances et les temps de transport ne permettant pas de revenir avant longtemps.

Une autre manière de faire de la politique, une fois de plus. Moins de micros et de flashs ; des bottes et des casques. Pour les ministres concernés, des expériences riches, des contacts avec de « vrais gens ». Et pour les « vrais gens », bien sûr une expérience extraordinaire. Discuter, se confier, échanger, réfléchir, construire avec la Présidente de la République ! Pêcher, semer, veiller, conduire avec la Présidente ! Manger, boire, fumer, sourire, rire, presque d'égal à égal ... avec la Présidente. La conviction surtout d'avoir été utile, d'avoir contribué à l'avenir de son métier, son territoire. Et garder une relation épistolaire avec ... la Présidente de la République !


NAO, Dictionnaire amoureux du quinquennatWhere stories live. Discover now