Q - Quarante-neuf trois

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Thierry Solère, Secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement

On a souvent dit que le succès d'un Président se jouait dans ses cent premiers jours, quand il bénéfice de cet état de grâce que sa toute récente élection lui donne, que sa personne est populaire, ses premières décisions attendues, par avance sanctifiées par le suffrage universel passé, les oppositions assommées par leur défaite non encore digérée. Pour Valérie Lubrioli, le quinquennat s'est joué dans les 110 premiers jours.

Mais, vu de l'intérieur, je sais que la Présidente n'a pas vécu cette période comme un état de grâce. Elle a au contraire traversé ces trois premiers mois dans une extrême tension, obsédée par le temps qui passe et la nécessité de faire adopter toutes les réformes avant la fin de l'année. Pour tenir cette gageure, elle et Eric Woerth avaient très tôt arrêté une tactique et un calendrier qui permettaient de tenir cette échéance mais il supposait que chaque étape soit non seulement passée avec succès mais sans retard non plus, un wagon en retard sur la voie retardant tous les suivants. D'où cette tension.

Si les exigences de la Présidente rappelées à chaque Conseil des Ministres mettaient bien sûr la pression sur chaque Ministre, c'est elle qui portait le plus grand poids et qui, avec l'aide du Premier Ministre et la mienne, agissait, sans répit, à tous les niveaux, pour mettre de l'huile dans les rouages, réagir immédiatement à chaque imprévu pour trouver un nouveau chemin, une solution, pour débloquer le train de réformes. Je me souviens que c'est avec soulagement que nous avons vu arriver la fin de la session extraordinaire le 11 août et son départ pour quinze jours de congés en Corse !

La crainte de la Présidente était l'enlisement des réformes au Parlement. Le danger de blocage semblait pourvoir être écarté dès lors que les législatives donneraient une assemblée où la majorité des nouveaux élus se seraient engagée sur la Charte ECO2 qui listait le programme législatif prioritaire du second semestre 2017. Après la victoire des Présidentielles, la confirmation par les Français de leur volonté de voir ses réformes se faire lors des législatives et après s'être engagés devant leurs électeurs de voter ces textes, les députés ne pourraient pas se déjuger aussi rapidement. Raison de plus pour aller vite. Et le risque que les parlementaires roués ne ralentissent le processus pour enrouer la dynamique.

Il ne fallait pas prendre ce risque, il fallait le supprimer, ne pas donner l'occasion aux plus malins d'engager des manœuvres dilatoires et prendre ainsi la main sur le calendrier parlementaire.

L'article 49.3 de la Constitution qui permet de faire adopter un texte sans débat devant l'Assemblée Nationale était une solution mais il n'est pas sans inconvénient, sans risque, sans limite.

L'inconvénient : le Gouvernement ne permet pas à l'Assemblée, détenteur du pouvoir législatif, émanation de la Nation, de s'exprimer. S'agissant de voter des projets de Loi déjà bénis par deux fois directement par les Français, il n'est plus obligatoire de demander leur accord pour ces textes à leurs représentants, leurs intermédiaires, les Députés : les mandants ne peuvent qu'être d'accord avec leurs mandataires !

Le risque : le recours au 49.3 suppose que Gouvernement engage sa responsabilité pour appuyer le poids de sa demande, justifiant ainsi que le Parlement lui fasse confiance pour mettre en application un texte auquel il n'a pas participé. En théorie, le Parlement peut voter une motion de défiance et le Gouvernement tombe. En théorie. Deux mois après la Présidentielle, quelques semaines après les Législatives, toutes les deux gagnées par les candidats portant le label ECO2, l'émergence d'une majorité prête à faire tomber le Gouvernement et les réformes voulues par les électeurs était improbable. Impossible.

L'inconvénient : l'article 49.3 ne peut être utilisé pour passer en force sur chaque loi. Il peut l'être pour la Loi de Finances, la loi de financement de la sécurité sociale et une loi ordinaire par session. Là était la véritable limite. Là est ma contribution.

Nous savions que, même mené à la baguette, le Parlement ne pourrait absorber tout le programme législatif d'ECO2 d'ici la fin de l'année et qu'il fallait ajouter une session extraordinaire pour lui donner plus de temps. La solution était là : plusieurs sessions extraordinaires, plusieurs occasions de recourir au 49.3 et de raccourcir les délais !

Le premier jour de la première session extraordinaire, le 1er juillet, le projet de révision de la constitution était déposé sur le bureau du Sénat, le projet incluant des dispositions sur l'organisation des collectivités territoriales avec la suppression des départements notamment ; parallèlement, le projet de loi de finances pour 2018 était déposé sur le bureau de l'Assemblée Nationale. 49.3 pour le projet de loi de finances.

Gérard Larcher, Président du Sénat, a joué un rôle majeur au cours de ce mois de juillet critique. Concernant la réforme de la Constitution, le Gouvernement n'a pas de moyen de pression pour obliger une des deux chambres à voter son texte, pas de 49.3 par exemple, et chaque assemblée est placée sur un pied d'égalité. Le Sénat pouvait potentiellement bloquer notre texte et nombre de sujets pouvaient les y inciter : suppression des départements, cumul de mandats limités, nombre mandats successifs limités à deux, durée de tous les mandats électifs ramenés à cinq ans, rémunération des élus au prorata de la présence aux séances, interdiction de l'emprunt pour les collectivités locales, ... Même si ECO2 allait rétablir les finances locales, les Sénateurs, représentants des élus locaux, élus locaux eux-mêmes, pouvaient voir dans ces nouvelles dispositions une profonde remise en cause de la pratique de leurs mandats. Gérard Larcher, avec le Premier Ministre, le Ministre de l'Intérieur et moi, a fait le tour des Sénateurs pour les convaincre qu'il serait vain de s'opposer à ces réformes qui étaient dans l'air du temps depuis des années et qui étaient massivement approuvées par les Français. La perspective du renouvellement de la moitié des Sénateurs en septembre avec la question des investitures a aussi aidé à convaincre certains plus retors que d'autres. Les directions de LR et du PS nous ont aussi aidés sur ce point précis.

Larcher nous a aussi appuyé pour la première loi passée à l'Assemblée Nationale avec le 49.3, la loi de finances 2018 quand la navette parlementaire a envoyé le texte au Sénat. Le 49.3 ne s'applique pas au Sénat et cette assemblée aurait pu dérouler le processus de travail sénatorial dans toute ... sa longueur. Au lieu de cela, conscient qu'il s'agissait de formaliser la volonté exprimée par le Peuple et que toutes les façons, le texte reviendrait en bout de course devant l'Assemblée Nationale, qui adopterait le texte sous le joug du 49.3., Gérard Larcher a encore une fois pris son bâton de pèlerin pour convaincre ses collègues de voter rapidement le texte.

Avec le vote de la loi de Finances, l'horizon s'éclaircissait, il semblait possible de tenir notre calendrier, l'Assemblée activée par le 49.3, le Sénat beau joueur votant le projet sans cherche à l'amender.

Lors de la même session extraordinaire, la loi de financement de la sécurité sociale et la loi sus les entreprises, la loi ordinaire de la session, étaient votées en recourant aussi au 49.3.

Lors de la clôture de la première session extraordinaire, 110 jours après l'élection de Valérie Lubrioli, les premiers textes avaient été adoptés et les conditions de l'adoption des suivants à la rentrée posées avec les deux assemblées.

Après trois courtes semaines de congés, nouvelle session extraordinaire à partir du 4 septembre et le vote de la loi sur les collectivités locales, toujours avec le 49.3. Le 2 octobre, ouverture de la session ordinaire et loi sur l'agriculture, 49.3 encore. La seule grande loi d'ECO2 adoptée sans recourir à ce couperet a été la loi sur le logement ; le processus fut plus long mais fin novembre, le programme ECO2 était voté et quasi tous les décrets d'application publiés avant la fin de l'année. Au 1er janvier 2018, le nouvel environnement économique, social et institutionnel voulu par Valérie Lubrioli était en place.

Dire que je suis « heureux » du travail fait serait très en-dessous de la réalité. Je suis « admiratif » de l'ampleur des réformes menées, du rythme et de la méthode suivis.

Ce sont les Parlementaires, je le sais, qui sont aussi heureux : ils ont bien conscience d'avoir réalisé un travail législatif colossal, plus important que tout ce qui avait été fait depuis le début de la Ve République, comparable à l'œuvre d'organisation du Pays par Napoléon Bonaparte ! Une référence pour Valérie Lubrioli.

En six mois, nous avons dessiné la France des cinquante prochaines années !

Je regrette bien sûr la décision de Valérie Lubrioli de ne pas s'être représentée pour un second mandat mais je comprends qu'aujourd'hui elle veuille ... récupérer de la tension de ces 110 jours qui ont changé la France. A nous maintenant de nous montrer à la hauteur.


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