W - Waterloo

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Pierre Lellouche, Secrétaire d'Etat à la programmation Défense

Je faisais partie de la délégation française au sommet de l'OTAN à Bruxelles prévu pour durer deux jours mais durant la première après-midi, nous sommes avertis que le sommet finira le lendemain midi, l'ordre du jour de la dernière demi-journée étant retiré. J'étais assis aux côtés de la Présidente pendant que la question du référendum Chypriote était évoquée. Pas dans mon domaine de compétence, je feuilletais une brochure sur Bruxelles et ses environs trouvée dans ma chambre d'hôtel.

- « C'est loin d'ici ? » me demande la Présidente en mettant le doigt sur le nom de Waterloo sur la carte des environs de la capitale belge.

- « Une trentaine de kilomètres.

- Organisez cela pour demain après-midi. Incognito surtout. Nous deux seulement ».

Nous sommes arrivés vers quinze heures, nous, notre voiture et toutes les voitures d'accompagnement. Pas très discret. La Présidente ne voulait pas que sa visite sur ce lieu symbolique puisse prêter à interprétation. Un pèlerinage sur le lieu de « la défaite française », pensez donc ! Alors, à trois kilomètres du champ de batailles, nous descendons de voiture et accompagnés seulement de quatre officiers de sécurité, nous finissons à pieds.

Le conférencier que j'ai réservé nous attend depuis trois quart d'heure quand nous arrivons. Il ne sait pas qui nous sommes et la Présidente porte un fichu sur les cheveux et des lunettes. Il commence par nous rappeler l'importance du site, les conséquences de cette bataille avec la chute de l'Empire, le mythe de Waterloo jusqu'au poème de Victor Hugo. La Présidente interrompt le conférencier et, de façon abrupte, elle le congédie en lui disant qu'elle connait bien le site.

Nous marchons un moment jusqu'à ce qu'elle s'arrête : « C'est là ».

Nous sommes à l'emplacement ou Napoléon se tenait pendant la bataille. Et elle nous raconte cette journée du 18 juin 1815, la bataille la plus tragique, parce que la dernière, la définitive. Tout comme les policiers, je l'écoute. Nous sommes tous graves. Nous avons l'impression de voir se dérouler la tragédie.

Plus un mot ensuite jusqu'à ce que nous ayons regagné notre voiture après une marche lourde comme une retraite, le poids de la défaite, des morts, du rêve brisé sur les épaules.

Dans la voiture, la Présidente m'explique que jamais elle n'était venue : un lieu trop rempli de malheur. Venir ici, c'est rendre hommage à Wellington. Jamais elle n'aurait pu assister à une reconstitution comme celle du bicentenaire il y a quatre ans. Le rappel de cette commémoration l'amène à évoquer l'occasion manquée de commémorer la plus grande bataille de l'Histoire, enseignée dans toutes académies militaires du monde, Austerlitz. Elle honnit Chirac qui a refusé de participer à la commémoration qui était organisée sur les lieux en République Tchèque :

                         « Pensez Lellouche qu'il n'a pas voulu que la France commémore Austerlitz ou participe à cette commémoration mais qu'il a en revanche envoyé des navires de la Marine Nationale participer à la parade navale que les Anglais, eux ,n'ont pas manqué d'organiser pour commémorer Trafalgar ! Quelle honte !

                        S'il ne s'estimait pas digne d'arborer cet héritage, comment a-t-il osé briguer la tête de la France ?! Usurpateur ! C'est à lui que ce qualificatif convient le mieux !

                       Un Bernard l'Hermite ! Voilà ce qu'est votre ancienne idole. Il n'aurait jamais dû franchir le seuil de l'Elysée ! Songez que c'est à l'Elysée, dans le boudoir d'argent, que Napoléon a signé son abdication en 1815. Il ne savait pas heureusement de quel étoffe seraient faits certains de ses successeurs en ce lieu et à la tête de la France.

                       Moi, le jour de mon investiture, après la cérémonie et avant de partir sur les Champs-Elysées, je me suis recueillie dans ce salon. Dans ce salon, la France a perdu une hégémonie politique, culturelle, économique de deux siècles. Je travaille depuis chaque jour à la restaurer. Sans état d'âme, sans remord. Avec fierté ! ».


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