NAO, Dictionnaire amoureux du quinquennat

O - Optimisation (fiscale)

Emmanuel Macron, Ministre de l'Economie et des Finances

Valérie Lubrioli estime, à juste titre, que nous avons mis en place les meilleures conditions pour le développement des entreprises et inviter les talents à les exercer en France. Ce nouvel environnement a rendu de fait moins attractive la délocalisation des sièges sociaux, des profits ou des fortunes des propriétaires de ces sociétés et nous avons effectivement noté le tarissement du flux qui d'année en année voyait nos champions s'installer en Belgique, aux Pays-Bas ou à Londres. Restait à faire revenir ceux qui étaient déjà partis, sièges sociaux ou individus. Au Royaume-Uni, bien sûr après le Brexit qui rendait moins attractive cette destination, mais pas que.

Plus facile avec les entreprises publiques. Nous avons simplement convoqué les patrons pour leur commander de rapatrier en France les structures montées à l'étranger à des fins d'optimisation fiscales. Peu d'entreprises concernées, seulement celles où l'Etat est majoritaire mais déjà de belles opérations avec les filiales rapatriées de EDF ou de la RATP.

Un peu plus retord déjà avec les entreprises dans lesquelles l'Etat n'est qu'un actionnaire minoritaire mais nous avons trouvé les mots, les arguments « justes », les moyens de persuasion. Assez amusant à ce titre de constater que des arguments opposés peuvent arriver au même résultat. Dans certains cas, la perspective annoncée du retrait de l'Etat du capital de l'entreprise concernée, une fois le rapatriement des sièges fait, a constitué une motivation pour amener notre interlocuteur à satisfaire notre demande, trop heureux de se débarrasser cet actionnaire encombrant ; telle a été la réaction de Carlos Ghosn. A l'opposé, dans d'autres cas, c'est notre assurance quant à la stabilité de son tour de table si nous partagions la même vision sur « tous » les sujets qui rassurait le dirigeant et l'amenait à satisfaire « toutes » nos demandes, dont la relocalisation.

Plus délicat, les patrons du CAC 40 que même un Président de la République ou un Ministre de l'Economie ne peut commander. En revanche, on peut négocier, marchander, « jouer à la marchande » comme dit la Présidente, sachant qu'un moment ou à un autre, chacun de ces grands groupes a quelque chose à demander à l'Etat ; question de temps. Au cours des quatre dernières années, le CAC 40 a de fait défilé dans mon bureau et dans notre numéro de duettiste convenu avec la Présidente, j'étais « Monsieur Niet », celui avec qui rien n'était possible, l'Etat ayant « déjà fait beaucoup pour les entreprises, particulièrement les grandes », mais ce n'était « jamais assez pour elles » ; « l'Etat en revanche était mal payé en retour ». Je jouais « mon petit socialiste vindicatif contre les patrons du CAC40», dixit la Présidente toujours. L'audience que le patron éconduit, et parfois furieux, obtenait ensuite avec la Présidente ensuite apparaissait comme une éclaircie. Valérie Lubrioli jouait la compréhension, trouvait une solution, souvent en semblant me désavouer, et alors que l'affaire semblait bouclée et la réunion arrivée à son terme, elle sortait alors incidemment son sujet de préoccupation du jour, le petit problème que son interlocuteur pourrait sans aucun doute régler facilement. Quand elle prenait congés, elle résumait leur point d'accord : son interlocuteur la tiendrait informée de la résolution de sa demande et, par la même occasion, lui rappellerait sa propre demande pour qu'elle pense à vérifier que les choses avaient avancé à Bercy. En clair : « Vous faites d'abord, je ferai après » ...

Nous avons ainsi obtenu, discrètement, le retour des sièges sociaux de trois groupes et de plusieurs dizaines de filiales et, ce qui a plus frappé les media, le retour d'exilés fiscaux parmi les dirigeants, actionnaires ou héritiers de plusieurs groupes familiaux. Officiellement, l'amour du Pays, la reconnaissance du chemin fait ... ; pour la Présidente et moi, des motivations réelles beaucoup plus pragmatiques.

Et à nous deux, la cellule de dégrisement fiscal la plus efficace du Pays.