L - Langues (étrangères)

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Malek Boutih, Secrétaire d'Etat à l'Education

Valérie Lubrioli n'est pas aussi mauvaise en anglais qu'elle veut bien le dire – hormis son accent, nous en sommes tous d'accord – mais elle ne supporte pas de buter sur un mot, de devoir amoindrir sa pensée en simplifiant son propos faute du vocabulaire ad hoc ou de la tournure plus subtile. La défense de la langue française dans les institutions internationales lui a fourni un paravent bien pratique pour cacher cette gêne ; la Présidente a expliqué une fois pour toute au début de son mandat qu'elle ne s'exprimerait qu'en Français.

Même si elle le regrette, l'Anglais a supplanté le Français et, au-delà de cette rivalité séculaire, le Français n'est plus depuis le début du XVIIIe siècle la langue comprise par les élites du monde entier. Une belle langue, une langue importante, mais une langue parmi d'autres et les Français, elle la première, sont encore trop peu à maîtriser une seconde langue. Une condition pourtant pour une puissance mondiale au XXIe siècle qui prétend commercer, travailler avec le monde entier puisqu'il faut donc renoncer au rêve de voir revenir le Français comme lingua franca. Une condition aussi pour chaque Français aspirant à monter en qualification, perspective obligée dans la France de demain où les salaires augmentant, les métiers seront de plus en plus concentrés sur les secteurs à haute valeur ajoutée, ouverts sur le monde, en concurrence avec lui.

L'approche de Valérie Lubrioli, sur ce sujet comme en général - mais peut-être un peu plus encore car elle était enseignante et connait particulièrement bien le sujet -, est très pragmatique. Des objectifs limités mais une concentration de moyens pour les atteindre. Une langue étrangère au moins, deux au mieux, mais dans les deux cas, des langues réellement maîtrisées à l'écrit et surtout à l'oral car une langue est d'abord faite pour parler ! Et pour apprendre à parler, il faut parler ... Partant de cette tautologie, trois lignes d'action.

Premier changement : cours de langue en demi-classes pour que les élèves aient plus l'occasion de parler que dans des classes à trente élèves ou plus.

Deuxième changement : en sus des cours de langue proprement dit (grammaire, vocabulaire, orthographe, prononciation, ...), l'enseignement d'autres matières dans la langue étrangère pour privilégier la pratique sur l'apprentissage. Dans le nouveau dispositif, si les primaires n'ont qu'une heure de « langue étrangère » par semaine, ils ont trois heures d'autres disciplines enseignées dans la langue étrangère ; la première année, ce sont les activités artistiques et sportives mais en CM2, ce sont aussi des matières comme l'histoire ou les mathématiques. Au collège, les heures « de langue » reprennent la place prépondérante pour que les règles de la langue déjà bien débrouillée à l'oral soient acquises précocement ; au fil des années, les bases grammaticales et orthographiques se consolidant, la pratique reprend la place prépondérante ; les LV1 par exemple en 6e ont cinq heures de langue par semaine dont 4 de langue proprement dite et une heure de matière tierce enseignée dans la langue ; les années suivantes, chaque année, une heure de « langue » bascule en enseignement tiers dans la langue et quand l'élève arrive au lycée, il n'a plus qu'une heure de « langue » proprement dit et quatre heures d'autres matières enseignées dans cette langue. La même importance pour la pratique est aussi suivie pour la LV2 ; si en quatrième et troisième, les trois heures sont consacrées à l'enseignement de la langue proprement dit, dès le lycée, la pratique dans le cadre de matières tierces apparait et en terminale, le lycéen n'a plus qu'une heure de LV2 « théorique » pour quatre heures d'enseignement tiers dans sa LV2.

Troisième changement : l'immersion linguistique du collégien ou lycéen dès lors que le conseil de classe juge le niveau de l'élève suffisant et qu'aucun problème de comportement ne le disqualifie pour « représenter » son pays à l'étranger. Les 6e et les 5e partent une semaine chaque année, les 4e et les 3e deux semaines, pour leur LV1 ; les 2des et les 1ères, deux semaines pour leur LV2. Les séjours sont échelonnés dans l'année – nous ne pouvons pas envahir nos voisins avec nos quatre millions d'élèves-voyageurs en même temps.

17.000 professeurs vont être recrutés, 600 millions d'euros supplémentaires consacrés à l'enseignement des langues, 4,6 milliards pour les séjours linguistiques. C'est, j'en suis certain, un effort sans précédent, en France comme à l'étranger, un véritable investissement pour l'avenir de nos jeunes et pour celui du Pays tout entier. Il faut poursuivre le déploiement de ce plan.

Le réaménagement du rythme scolaire, le recrutement des professeurs et l'organisation de ces voyages ont nécessité dix-huit mois de préparation et la dernière rentrée, celle de septembre 2021, est la première année d'application de la réforme de l'enseignement des langues vivantes. Trop tôt donc pour en tirer un bilan d'autant que son application sera progressive sur quatre ans pour, les seuls collégiens, par exemple, concernés cette année, sont ceux de 6e. On peut juste noter que l'organisation est en place - malgré les difficultés insurmontables que les cassandres n'ont pas manqué d'évoquer - et que les premiers élèves concernés, au primaire, au collège ou aux lycées sont très heureux de la réforme ; du séjour linguistique notamment. Leurs parents sans doute encore plus que les intéressés. Et les intéressés comme leurs parents ont bien volontiers accepté que l'année scolaire des classes de 4e à 1ère soient allongée d'une semaine en juillet pour compenser une partie du temps pris pour le séjour linguistique de deux semaines. Nous n'avons pas non plus à ce jour d'élèves perdus parce que des matières comme l'histoire, la géographie ou mêmes les mathématiques étaient « partiellement » enseignés dans une langue étrangère : dans chaque matière concernée, ce n'est qu'une heure par semaine qui est délivrée en LV1 et LV2, pas toutes les heures ...

Et non, contrairement au propos de Florence Foresti dans son sketch consacré à la réforme de l'enseignement des langues, la prochaine étape n'est pas d'ajouter le Français aux matières tierces pouvant être enseignées en Anglais ou en Allemand !

Encore trois ans pour finir d'appliquer la réforme. Quelques années ensuite pour en observer les effets. Nous avons semé. Massivement. Nous moissonnerons d'ici quelques années et, j'en suis certain, les Présidents de la République des années 40, peut-être, des années cinquante assurément parleront deux langues étrangères couramment Madame la Présidente !


NAO, Dictionnaire amoureux du quinquennatWhere stories live. Discover now