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Jean-Jacques Urvoas, Ministre de la Défense

De nouveau, les mêmes images, les mêmes cris, les mêmes pleurs. La désolation, l'incompréhension, la colère : le terrorisme sur notre sol de nouveau, nous n'y aurons pas échappé. Le 11 septembre 2021, l'attaque au Zénith de Paris nous a tous stupéfaits. Pétrifiés même. L'ampleur des pertes humaines, les blessés... La date symbolique, le vingtième anniversaire de l'attentat du World Trade Center, choisie pour cette attaque d'un nouveau genre, une nouvelle escalade. Quand le premier avion avait heurté la première tour, nous n'avions rien jamais rien de vu tel ; même surprise incrédule le 13 novembre 2015 avec ces commandos qui ont semé la mort méthodiquement aux terrasses des cafés et au Bataclan. Un concert déjà comme au Zénith.

Une opération de guerre cette fois. Pas un groupe de quatre individus mais l'assaut mené par un commando de vingt-trois ou vingt-cinq individus attaquant frontalement une des entrées de la salle à la grenade pour annihiler les vigiles restés aux issues en nombre plus réduit maintenant que le concert est cours. L'entrée dans la salle ensuite, toujours en s'ouvrant le chemin par des grenades, pour semer la panique ; elle est immédiate bien sûr. Des cris d'hystérie accompagnent la foule qui tentent de gagner les sorties de secours. Puis le début de la mitraillade, les assaillants apparaissant sur les gradins, foudroient devant eux, à gauche, à droite, dégagent leur périmètre avant de se répartir dans les gradins tandis qu'une dizaine descend vers l'orchestre. Des grenades, des rafales ...

Nous n'avons jamais rien connu de tel. Nous n'avons jamais rien de vu de tel non plus. On nous déconseille d'entrer dans la salle quand la Présidente me rejoint sur place. A l'extérieur de la salle, il y a le spectacle des blessés que les pompiers ou le SAMU évacuent, des personnes valides mais parfois blessées qui pleurent, hurlent ou simplement errent, hagardes. Les sirènes des véhicules d'urgence ne couvrent pas les cris et les sanglots. La Présidente est livide, sans doute moi aussi, Anne Hidalgo semble choquée. Tandis que je m'entretiens avec le Préfet de Police, elles sont côte à côte, des officiels leurs parlent mais elles ne semblent rien entendre. Elles semblent perdues.

Une boule au ventre, un poids énorme, une blessure quand nous avons rencontrés les victimes et leurs familles les jours suivants, notamment lors de la cérémonie d'hommage national aux Invalides : l'incrédulité de nos interlocuteurs attaqués à Paris, malgré un dispositif de sécurité. Le regard des victimes n'était pas chargé de reproche ; il exprimait le doute. La Présidente a été très marquée par ces contacts, par leur message muet :

                     « Pourrons-nous un jour être en sécurité, insouciants, chez nous en France ? »

Nous n'avons pas tardé à connaître qui en étaient les commanditaires, ceux-ci revendiquant l'attentat dès le lendemain. Le FLC (Combattants du Dernier Califat), dernier avatar de l'internationale islamiste regroupant les débris de mouvements des années 2010, surtout africains avec Boko Haram (aujourd'hui «Etat islamique en Afrique de l'Ouest »), les rescapés de Daesh, sa maison mère, les diverses succursales de Al Quaïda en Afrique (Aqmi, Ansar al-Charia, Ansar Dine) ; les frères ennemis d'hier s'étant retrouvés dans leur haine de l'Occident et de la France en particulier.

Les fiefs de ces mouvements ayant été réduits les années passées, le FLC s'est fondu dans les sables du Sahara et dans les montagnes du Proche-Orient, seul Boko Haram gardant intacte sa puissance malfaisante au sud du Sahara, se jouant des frontières entre Tchad, Cameroun, Nigeria, Niger, attaquant quand il le voulait, comme il le voulait. Nos accords d'assistance nous ont amené ces trois dernières années à intervenir ponctuellement pour protéger des villes menacées au Cameroun et au Tchad et à contenir Boko Haram au Nigeria où les autorités d'Abuja, malgré nos exhortations, ne sont jamais données les moyens de les combattre résolument.

L'attaque du Zénith est la réponse de Boko Haram pour notre soutien à nos amis Africains ; leurs alliés d'Al Quaïda et Daesh leur ont donné les moyens : le passage via la Lybie, dans le flot des migrants et des réfugiés ; la logistique et les armes une fois arrivés en France.

Des membres du commando, seul un, blessé lors de l'attaque, est entre nos mains. Peut-être deux ont-ils réussi à s'enfuir, un doute existant sur le nombre d'assaillants. Les autres sont morts dans l'assaut ou se sont fait sauter avec leurs grenades.

Restent les commanditaires et la volonté de la Présidente de les frapper, de punir les responsables, de lancer un message clair aux terroristes : la France est un sanctuaire ; s'y risquer à commettre un acte de guerre vaudrait en retour leur perte aux commanditaires.

Pendant plus de trois mois, les Français ont pu croire que nous n'avancions pas, que nous avions renoncé. La fin de l'année est arrivée apparemment sans progrès, seulement des exactions de Boko Haram au nord du Cameroun, au Nigeria. Jusqu'au 28 décembre et l'attaque de Maiduguri, ville de six cent mille habitants au Nigeria. Une journée de combat seulement suffit pour que Boko Haram fasse tomber la ville, l'armée nigériane terrifiée lui cédant le terrain sans véritablement chercher à résister. Trois jours d'occupation et d'horreur s'en suivent avant que les islamistes quittent la ville et se replient vers l'ouest, à NGambu, ville plus petite, dont les 15.000 habitants ont fui. Le 4 janvier décembre, la ville compte plusieurs milliers d'occupants mais c'est l'armée de Boko Haram.

Une première, Boko Haram pratiquant habituellement plutôt par petits groupes, mobiles, insaisissables. Une opportunité.

Je ne peux pas confirmer ou infirmer le détail de notre implication, hormis l'opération du 8 janvier puisque la Présidente elle-même l'a revendiquée lors du discours d'orientation de l'année.

La presse a avancé qu'un véhicule kamikaze chargé d'explosifs s'est précipité sur le bâtiment où les chefs de Boko Haram tenaient une réunion d'état-major. Pour certains media, le chauffeur aurait été un ancien de Boko Haram, d'autres croient savoir qu'il s'agirait d'un ancien retourné par les services français ; pour d'autres, d'émissaires de Daesh alors présents sur place ; eux aussi auraient été retournés par nos services.

Les événements du lendemain sont en revanche avérés. Le samedi 8, jour de l'inhumation des combattants morts dans l'attaque suicide, la ville a retrouvé une population proche de ce qu'elle est habituellement mais il s'agit maintenant de combattants de Boko Haram venus de tout le nord-est du Nigeria à 200 ou 250 km à la ronde pour les obsèques des leaders morts. L'opération « Monte-Cristo » dure cinquante-deux minutes pendant laquelle la ville est rasée à 75 %.

Un décompte des résultats des opérations nous a été donné plus tard par l'armée nigériane quand elle a repris possession de la ville. Plus de 4.000 islamistes tués dont l'essentiel de la hiérarchiede Boko Haram d'après nos renseignements. Trois cents civils aussi dont on ne sait s'ils étaient restés de force, menacés par les terroristes ou s'ils en étaient au contraire proches.

Notre intervention, menée en accord avec le gouvernement nigérian, a mis hors d'état la moitié de « l'armée de Boko Haram », soit parce que les terroristes ont été tués, soit parce que les survivants, se sont dispersés pris de panique, poursuivis par l'armée nigériane qui a lancé immédiatement une offensive terrestre pour reprendre le contrôle de cette partie de son territoire.

Aujourd'hui, quatre mois après les faits, il ne reste que quelques centaines d'individus isolés, sur la défensive ; peut-être 700 ou 800, loin des 20.000 terroristes avant l'opération « Monte-Cristo ». Ces rescapés sont des survivants car la peur a maintenant changé de camp et ce sont les villageois qui se sont transformés en chasseur de terroristes. Peut-être bientôt le retour de la paix dans cette région.

Pendant ces longs mois d'enquête, de traque, de préparation, il n'y a pratiquement pas eu un jour sans que la Présidente et moi échangions sur nos progrès. Nous avons pratiquement passés ensemble les réveillons et la première semaine de janvier en campant dans la cellule de crise. Je ne peux commenter ces journées. Un jour peut-être car je sais que je n'oublierai rien, jamais, comme je n'oublierai jamais les victimes du Zénith.


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