I - Immigration (choisie)

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Ségolène Neuville, Secrétaire d'Etat à l'insertion

Début 2020, la Présidente nous a invité à déjeuner à l'Elysée, le Premier Ministre, le Ministre du Travail et moi. Nous venions d'avoir les chiffres du chômage du mois et ils étaient bons, une baisse, un peu plus forte que la précédente, et pour nous l'espoir qu'il s'agissait de la reprise du marché de l'emploi que nous avions annoncé il y a deux ans et demi pour se produire ... maintenant, début 2020. Qu'elle ne fut pas ma surprise quant au bout de quelques minutes la Présidente commença à nous expliquer qu'il fallait maintenant travailler au programme d'accompagnement du marché de l'emploi ... en pénurie de main d'œuvre ! Elle se projetait déjà en 2021 avec quelques secteurs tendus et au-delà, avec des entreprises gênées dans leur développement par manque de ressources. Eric Woerth et François Fillon n'étaient pas surpris et énuméraient les pistes envisageables ; à l'évidence, ce n'était pas la première fois qu'ils évoquaient ensemble ce sujet.

L'objet de ma présence était de mettre sur pied, dès cette année, dans un contexte apaisé avec la reprise du marché de l'emploi qui –mes interlocuteurs n'en doutaient pas – allait se confirmer et pas encore de tension ou d'immigration importante. Car leur préoccupation nouvelle était là, le risque que la reprise du marché de l'emploi encourage la reprise de l'immigration jusqu'alors orientée vers l'Allemagne, voire encore le Royaume-Uni malgré le Brexit. Notre Pays n'avait pas encore bien réussi l'intégration des étrangers déjà présents, ce serait prendre un risque pour sa cohésion sociale de trop, de mal accueillir.

J'ai travaillé avec François Fillon à un dispositif qui laisse une porte ouverte aux talents et, dans le même temps, tienne compte de la capacité d'intégration des impétrants, sachant qu'une personne venant pour travailler peut vouloir ensuite rester et avoir acquis de facto des droits lui permettant (le mariage avec un Français ou une Française par exemple). Cette possibilité devait être intégrée dans l'appréciation des demandes d'entrée dès l'origine.

La loi Neuville dispose donc que le Parlement se prononce chaque année sur le nombre d'entrées pour l'année suivante en fonction des besoins par métier et des qualifications demandées. Rien de révolutionnaire ou de polémique à ce stade.

La deuxième clé d'appréciation des demandes a beaucoup plus suscité de débats puisqu'il s'agissait d'établir des quotas pas origine géographique : Europe, Afrique du Nord, Afrique sub-saharienne, Proche-Orient, Asie, Amérique. Avec possibilité de quotas par pays pour les pays les plus « fragiles». L'objectif bien évidemment était de privilégier à une immigration d'origine variée mais pas seulement pour éviter que certaines nationalités soient surreprésentées. Nous n'avons jamais caché que nous voulions, c'est vrai, éviter que l'immigration d'origine magrébine ou africaine soit relancée alors que nous n'avions pas fini d'intégrer les générations précédentes.

Mais ce n'est qu'une moitié, une moitié seulement, pas plus, de la motivation de ces quotas. La Présidente avait été choquée de l'attitude de l'Allemagne qui avait profité des crises grecques, espagnoles, portugaises ou italiennes pour « faire de la retape » et aller débaucher leurs jeunes diplômés. En privant ces pays des jeunes les mieux formés, l'Allemagne s'attachaient à bon compte de nouveaux travailleurs qualifiés pour laquelle elle n'avait rien déboursé mais obérait les perspectives de redressement à moyen terme des pays « pillés ». Nous ne pouvions pas faire de même et des quotas avec les pays proches ou naturellement orientés vers la France devaient être institués afin de ne pas franchir certains seuils tolérables, tolérables avec le développement des pays d'origine. La Présidente a eu l'occasion de dialoguer avec ses homologues Africains au sommet de la Francophonie en octobre et une déclaration commune a validé la position de la France. Le débat s'est alors clos en France et la loi a pu être adoptée au début de l'année suivante.

Il y avait une seconde étape que j'ai découverte dès le lendemain de l'adoption de la loi. La Présidente, le Premier Ministre mais cette fois le Ministre de l'Intérieur et le Ministre de la Justice et non le Ministre du Travail étaient les commanditaires. L'objet de la demande n'était plus l'organisation de l'entrée de travailleurs mais l'organisation de l'acquisition de la nationalité française. Les étrangers présents en France, suite à une arrivée pour travailler, étudier, voyager, etc ... peuvent vouloir acquérir la nationalité française. La République pose aujourd'hui des conditions mais celles-ci sont sans doute à revoir quand on constate les ratés de la citoyenneté, ces jeunes qui bien que Français rejetaient la France, voire la combattaient.

J'ai repris les conditions qui étaient jusqu'alors exigées et j'ai travaillé avec des associations, des juristes, des historiens pour bâtir une nouvelle liste de critères, objectives, qui garantissent à l'impétrant une analyse objective de sa demande et donne à la République, autant que faire se peut, des preuves de l'attachement à la France du demandeur. Le dossier de demande d'acquisition de la nationalité française s'est vu ajouter une grille de 19 critères notés de 1 à 2, positif ou négatif en fonction de leur importance. 1 quand l'impétrant présente cette bonne disposition, par exemple une présence ancienne en France, 2 pour une disposition très révélatrice de la volonté d'intégration de la communauté nationale, comme la francisation du nom et du prénom ; en négatif, les caractéristiques défavorables du profil du candidat. Parmi ces critères, 2 points négatifs en cas d'entrée clandestine sur le territoire pour encourager les demandeurs à faire leur demande depuis le consulat de France dans leur pays. Maximum 13 points, moyenne exigée pour une réponse favorable 6.

Le débat s'est encore une fois porté sur le seul critère géographique, les zones d'émigration surreprésentées dans l'immigration française étant dotées d'un point négatif. Même volonté de notre part de diversifier, cette fois clairement pour faciliter l'intégration et éviter le développement de communautés trop fortes, alors plus volontiers enclines à vivre entre-soi.

La demande venait de la Présidente mais je l'ai vu hésiter quand le débat parlementaire a commencé. Elle a suivi les échanges, consulté, réfléchi. Et, pour la première fois m'a dit le Premier Ministre, elle a renoncé à décider s'en remettant à la sagesse du Parlement.

La Loi a été votée, sans ce critère.

Je l'apprends donc à mes collègues : même Valérie Lubrioli peut ne pas savoir ...

NAO, Dictionnaire amoureux du quinquennatWhere stories live. Discover now