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François Baroin, Ministre de la Justice

« L'homme qui a fait plier Facebook, Twitter et Youtube ». Quand je raconterai ma vie à mes petits-enfants, je pense que c'est cette image là que je mettrai en avant. A moins que ces stars actuelles d'internet soient passées de mode.

Après un décennie de croissance fulgurante, ces sociétés du web américaines avait fini par faire l'unanimité des gouvernements occidentaux, y compris américain, contre elles pour leur pratique de l'optimisation fiscale, cet art qui consiste à faire disparaître les profits dans les pays où ils sont réalisés pour les faire réapparaître sous les cieux plus cléments, pour ne pas dire des paradis fiscaux. Les redressements fiscaux se sont multipliés à partir de 2015 et Valérie Rabault au Trésor a fini par obtenir que ces championnes paient en France un impôt en proportion des profits véritablement réalisés chez nous. C'était le premier acte de la correction de ces garnements de la Sillicon Valley.

Autre pratique qui était insupportable, leur totale hypocrisie quant à l'usage qui était fait de leurs services. Si la photo du tableau « L'origine du monde » de Gustave Courbet était censurée par Facebook parce que jugée pornographique, les tweets, messages ou vidéos vantant le Jihad ou véhiculant des messages racistes et notamment antisémites, polluaient littéralement le net. Et les hébergeurs de ces contenus de dire qu'ils ne « pouvaient » pas les supprimer quand ils ne disaient pas ne pas « vouloir » les supprimer, se réfugiant derrière la législation américaine en matière de responsabilité des hébergeurs ou de liberté d'expression. Du point de vue de Valérie Lubrioli, une attitude parfaitement hypocrite : ils faisaient la police quand il s'agissait de se conformer au droit américain ou à la pudibonderie des Américains mais en revanche, ils se moquaient éperdument des législations des états européens et ignoraient, imperturbables, leurs préoccupations spécifiques. Des Français, des Allemands ou des Britanniques, seuls leurs euros ou leurs livres les intéressaient, pas leur sécurité ou autre fadaise. « Nous sommes Américains, nous sommes aux Etats-Unis, vos lois ne nous concernent pas ! ». Tel était en substance le message de leurs avocats. Je ne résiste pas à citer la Présidente, c'est la seule fois que je l'ai entendue dans une expression aussi triviale :

                « S'ils veulent jouer au con, nous serons deux ! ».

Ce qui était faux d'un point de vue arithmétique puisque les trois GAFA, la Présidente et moi, nous étions déjà cinq. C'est à moi en effet que la Présidente a demandé de jouer au « benêt ». Le jeu a constitué à rendre inaccessible l'accès aux trois services à partir du 1er février 2019, histoire de leur montrer qu'ils étaient quand même un petit peu en France puisque leurs tuyaux étaient soudainement percés sur notre territoire.

Avec Bernard Cazeneuve, nous avons enjoint aux opérateurs internet et mobiles français de ne plus router aucun message à destination ou en provenance de ces trois services. Si notre décision de fermer l'accès à Facebook, Twitter et Youtube était faible juridiquement et susceptible d'être attaquée par les trois victimes, nos injonctions aux opérateurs français étaient juridiquement plus solides et ils se sont exécutés laissant aux principaux intéressés le soin d'attaquer.

La France sans Facebook, sans Twitter ! Sans Youtube ! Un drame pour certains privés de leur came, de leur raison de vivre ! Une cure de détox violente, pas pour me déplaire mais pas tenable longtemps, nous en avions conscience. Nous étions moins inquiets en revanche des réactions médiatiques ou internationales, fort de notre bon droit et aidés par des critiques outrancières comme celles qui comparaient l'attitude de la France avec celle de la censure chinoise. Et pas du tout inquiet des menaces de procès : notre justice n'était pas encore remise d'aplomb et un procès prendrait des années ; la justice américaine ne serait pas beaucoup plus rapide. Une raison de plus au passage pour ne pas poursuivre les négociations sur le traité TAFTA qui auraient facilité les choses pour nos trois adversaires. Surtout, chaque jour, chaque mois, chaque année perdue était une perte de revenus pour les trois américains, voire une place laissée libre pour de nouveaux concurrents. Ils devraient vite perdre leur sang-froid.

La Belgique, deux jours après, les Pays-Bas et l'Italie la semaine suivante, en ralliant la position française et la mettant en œuvre en ce qui concerne la Belgique, ont emporté la bataille. Les trois GAFA, Twitter en premier, ont rendu les armes avant que notre boycott fasse tache d'huile en Europe. Neuf jours après le début du blocus, sur la foi d'un communiqué de Twitter annonçant sa volonté de coopérer avec les autorités françaises et belges pour adapter sa politique de prévention, je levais le blocus de Twitter. Facebook et Youtube ont suivis.

Les négociations ont commencé dans la foulée et les trois sont venus à Canossa, place Vendôme en vérité, signer leur reddition. C'est la photo de la signature du représentant de Facebook, sur un bureau du ministère de la Justice sous mon regard « satisfait » j'avoue, qui accompagnait le titre de la une de Time Magazine : « L'homme qui a fait plier Facebook, Twitter et Youtube ». Je l'ai encadrée.

Au sommet européen de mars 2020, l'Union Européenne a adopté une décision conforme à notre position. Europe 1 – Etats-Unis 0.


NAO, Dictionnaire amoureux du quinquennatحيث تعيش القصص. اكتشف الآن