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Je suis allongée sur le lit, dans le noir.


La fenêtre entrouverte laisse passer un souffle d'air tiède. Dehors, Paris dort. Les voitures se sont tues. Les klaxons ont laissé place à un silence presque irréel.

Et moi, je suis là, les yeux grands ouverts, le cœur trop plein.

Je n'arrive pas à trouver le sommeil.

Pas parce que je suis agitée.

Pas parce que je ressasse.

C'est... plus calme que ça. Plus profond. Plus vrai.

Je pense à elle. Encore.

Mais cette fois, ce n'est pas le genre de pensées qui papillonnent. Ce n'est pas une obsession, un crush, une fantaisie romantique. C'est plus ancré. Plus doux. Plus immense.

Je pense à la façon dont elle a parlé de sa grand-mère, les doigts posés à peine sur le vieux carnet de cuisine. À sa voix, un peu plus grave, quand elle a murmuré "ils ne me voyaient pas". À son rire surpris quand je lui ai dit que cuisiner avec elle, c'était sensuel.

Je pense à ses gestes. À sa manière de tout faire avec lenteur. Avec exactitude. Comme si chaque chose avait une valeur - même les plus simples. Moi, je suis rapide. Pressée. J'ai appris à courir dans tous les sens, à jongler entre les textes, les rôles, les visages.

Elle, elle reste.

Elle tient.

Et je me rends compte que c'est ça. Ce que je ressens. Ce que je n'ai jamais ressenti aussi fort.

Je l'aime.

Pas "je suis amoureuse". Pas "je suis en train de tomber".

Non.

Je l'aime.

Je l'aime déjà.

Et ça me frappe comme une évidence douce. Pas brutale. Pas soudaine. Comme une certitude silencieuse qui était là depuis le début et que je n'osais pas regarder en face.

Je me redresse doucement. Mon téléphone est posé sur la table de nuit. Je le prends. Pas pour écrire. Pas encore.

Je l'ouvre. Je regarde notre échange. Ses mots simples. Son "tu peux dire "tu", Jenna". Sa promesse de me refaire ce dessert. Cette façon qu'elle a de ne jamais trop en dire, mais toujours avec justesse.

Je m'allonge de nouveau, le téléphone contre ma poitrine. Et je repense à ses yeux. À cette asymétrie magnifique qu'elle voudrait cacher. À ses silences pleins. À ses mains.

Et je me dis que si je ne l'avais jamais rencontrée... il me manquerait quelque chose de fondamental. Quelque chose que je n'aurais pas su nommer. Mais qui m'aurait manqué, toute ma vie.

Je ne sais pas ce qui va se passer. 

Je ne sais pas si elle est prête. 

Je ne sais même pas si je le suis, moi-même...

Mais je sais ce que je ressens.

Et ça suffit pour ce soir.

Une recette imprévueDonde viven las historias. Descúbrelo ahora