On me dit souvent que j'ai un don.
Je souris poliment quand j'entends cette phrase. Je lève les yeux au ciel quand on ne me voit pas.
Un don ?
Non.
J'ai juste travaillé comme une damnée pendant dix ans, sacrifié mes week-ends, mes étés, mes histoires d'amour, mes grasses matinées, et un peu de ma santé mentale aussi. J'ai brûlé mes vingt ans à faire mijoter des sauces pendant que d'autres les dégustaient sur les toits de Londres.
J'ai vingt-six ans aujourd'hui. Cheffe d'un trois étoiles à Paris. Une des plus jeunes au monde, paraît-il. C'est flatteur, oui. Mais je ne cuisine pas pour flatter qui que ce soit. Je cuisine pour faire taire le bruit. Celui dans ma tête, celui de dehors aussi. Je cuisine parce que c'est la seule langue que j'ai toujours parlé couramment.
Je suis née en Angleterre, à Brighton, d'un père britannique, professeur de littérature, et d'une mère française, ancienne danseuse étoile reconvertie dans le yoga et les tisanes à base de racines improbables. Chez moi, on mangeait bio avant même que ce soit la mode. On parlait dans le fracas doux des casseroles et les mots croisés du dimanche. Puis, à dix-sept ans, j'ai pris un aller simple pour Lyon, direction l'institut Paul Bocuse. J'étais la plus jeune de ma promo. La plus réservée aussi. Et de loin la plus obstinée.
Ce n'est pas un métier doux. On romantise beaucoup la cuisine, les plats élégants, les assiettes qui brillent, les photos dans les magazines. Ce qu'on montre moins, ce sont les ampoules, les chefs qui crient jusqu'à vous faire douter de votre existence. Moi aussi, j'ai hurlé. Trop, parfois. Pas assez, souvent. Mais j'ai tenu.
Et maintenant ?
Maintenant, je suis là. Dans ma cuisine, à quelques pas de la Seine, entourée d'une brigade qui me respecte - ou qui me craint, je ne sais plus trop. Mes plats voyagent dans les avions de luxe, les palais, les pages des critiques gastronomiques. On m'appelle "la Cheffe aux yeux dépareillés", comme si mes pupilles dissonantes étaient la vraie star du menu.
Mais voilà le hic.
Je suis fatiguée des éloges. Fatiguée de jouer à la femme forte, brillante, inspirante, comme si ça ne me coûtait rien. Je voudrais créer sans être regardée. M'émouvoir sans avoir à me justifier. Trouver une étincelle hors des fourneaux, un endroit - ou une personne - où poser les armes, ne serait-ce qu'une soirée.
Je ne cherche pas l'amour. Je n'ai pas le temps. Et je n'ai jamais vraiment su ce que ça voulait dire, de toute façon.
Mais il paraît que la vie adore me surprendre.
Et que parfois, elle le fait avec un simple claquement de porte...
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Une recette imprévue
FanfictionQuand Jenna Ortega, star Hollywoodienne en quête d'authenticité, débarque à Paris pour un tournage, elle ne s'attend pas à croiser la route de Liv Hemerson, jeune cheffe prodige à la réputation aussi tranchante que ses couteaux. L'une fuit les proje...
