La lumière est douce, presque dorée. Le soleil commence à décliner derrière les rideaux en dentelle, et dans la cuisine, tout respire la lenteur. Le poulet embaume la pièce. Le beurre a caramélisé la peau, les herbes ont infusé jusqu'à l'os. Et le silence entre nous est devenu aussi confortable qu'un vieux pull en laine.
On mange à même la table en bois, sans nappe. Juste deux assiettes, deux verres, un vieux saladier en céramique pour les pommes de terre nouvelles rôties. Pas besoin de plus.
Jenna est assise en tailleur sur sa chaise. Elle a cette capacité étrange à être parfaitement à l'aise partout, sans jamais paraître déplacée. Son rire a encore la saveur du citron confit, et son regard ce pose sur moi avec cette attention constante qui me désarme toujours un peu.
Et moi, ce soir... je parle.
Je ne sais pas pourquoi. Ou plutôt, si. Parce qu'elle m'écoute.
Pas pour répondre. Pas pour analyser. Juste... pour entendre.
- Tu sais, j'ai grandi à Oxford, je commence, la voix un peu plus basse que d'habitude. Les gens pensent souvent que je suis "née dans une cuisine", comme ils disent. Mais c'est faux. Mon père était prof de lettres dans une université prestigieuse. Le genre à connaître par cœur les tragédies grecques, mais à oublier l'anniversaire de sa fille.
Jenna me regarde. Elle ne commente pas. Elle attend.
- Il était... charmant, brillant, très aimé de ses élèves. Surtout les femmes de quarante ans qui venaient le voir pour parler de poésie et repartaient avec une copie corrigée et un regard troublé.
Je souris, sans amertume.
- Mais à la maison, c'était le silence. Pas méchant. Juste... absent.
Je joue avec ma fourchette.
- Et ma mère...
Je marque une pause.
- Ma mère dansait. Toute sa vie. Classique. Contemporain. Puis yoga. Elle courait de répétitions en studios, de studios en retraites. Elle aimait le mouvement, l'harmonie... mais pas les pauses. Et moi, j'étais... la pause. Un battement entre deux rythmes.
Jenna pose doucement sa fourchette. Elle ne bouge pas. Elle est là.
- Je crois que je n'ai jamais vraiment su comment parler à mes parents. Pas parce qu'ils ne m'aimaient pas. Mais parce que je ne cadrais pas dans leur monde. Et eux non plus, dans le mien.
Je prends une gorgée d'eau. L'air est tiède, mais agréable.
- Les étés, c'était ma bouée.
Je lève les yeux vers elle.
- Je savais qu'en Juillet, j'allais venir ici. Cette maison. Mes grands-parents. Rien de spectaculaire. Mais eux... ils me voyaient. Ils n'attendaient rien. Ils ne jugeaient rien. Ils me laissaient juste être. Et cuisiner.
Je souris.
- Ma grand-mère m'a montré comment faire une pâte à tarte en silence. Mon grand-père me disait que les légumes avaient leur propre langage, et qu'il fallait les écouter. C'est lui qui m'a inscrite, un jour, sans me prévenir, à une petite compétition de cuisine locale. J'avais quatorze ans. J'ai perdu. Mais je n'ai jamais oublié le regard qu'il m'a lancé ce jour-là. Il avait l'air de dire "Maintenant, tu sais ce que tu veux."
Jenna ne parle toujours pas. Mais ses yeux brillent. Et ça vaut toutes les réponses.
- À mes dix-sept ans, j'ai été admise à l'Institut Bocuse.
Je ris doucement.
- Je crois que mes parents ne savaient même pas ce que c'était. Mais mes grands-parents, eux... ils étaient fiers. Ils m'ont dit : "Tu viendras vivre ici, bien sûr. Tu vas pas perdre ton temps dans une chambre étudiante." Alors j'ai vécu ici. Durant six ans.
Je regarde autour de moi.
- Les plus belles années de ma vie. Le plus beau désordre. Le plus grand calme.
Je croise enfin son regard. Elle me sourit. Un sourire lent. Profond.
- Merci de me raconter tout ça, dit-elle simplement.
Et je me rends compte que je n'ai pas honte. Pas peur. Pas besoin de me cacher.
Pas avec elle.
Et quelque part, entre la peau croustillante du poulet, le parfum des herbes et le vieux tic-tac de l'horloge murale, je sens que ce moment-là...
Je ne l'oublierai jamais.
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Une recette imprévue
FanfictionQuand Jenna Ortega, star Hollywoodienne en quête d'authenticité, débarque à Paris pour un tournage, elle ne s'attend pas à croiser la route de Liv Hemerson, jeune cheffe prodige à la réputation aussi tranchante que ses couteaux. L'une fuit les proje...
