Je n'avais pas prévu de sortir.
C'était une de ces journées où j'aurais pu rester enfermée dans ma cuisine à tester, à sentir, à réfléchir. Mais Tsuki, lui, n'a que faire de mes états d'âme. Il trépignait devant la porte, ses petits jappements impatients me rappelant que même les esprits les plus solitaires doivent parfois respirer autre chose que la vapeur de miso et les zestes de yuzu.
Alors j'ai cédé. Comme souvent avec lui.
Et me voilà, dans ce parc que je connais par cœur, à marcher droit, à l'écart, en espérant ne croiser personne.
Et pourtant...
Il lui a foncé dessus.
Comme s'il l'avait reconnue. Comme s'il savait.
Et maintenant, je suis là, debout, face à elle.
Encore plus belle dans la lumière du jour que dans celle de ma salle tamisée. Le soleil joue dans ses cheveux sombres, et son rire - ce petit rire qui a surgi quand Tsuki l'a submergée - me percute de plein fouet. Il est sincère, cristallin, presque... intime.
Et je ne sais pas quoi faire de ça.
Je la regarde caresser mon chien avec une douceur qui me désarme. Elle lui parle comme s'ils se connaissaient depuis toujours. Elle s'accroupit, elle sourit, elle ne joue pas un rôle. Il n'y a rien de calculé. Rien de surjoué. Rien de ce que j'imaginais du monde qu'elle représente.
Et moi... je ne bouge pas.
J'aimerais pouvoir dire que c'est la surprise. Mais ce serait faux. La vérité, c'est que je n'ai pas envie de bouger. Pas envie de casser l'instant. Pas envie de faire taire ce quelque chose de fragile et fort qui pulse entre nous.
Je me sens à la fois exposée et... sereine.
Et ça, c'est dangereux.
Tsuki est un traître. Il continue de lui lécher les doigts comme s'il l'avait adoptée. Elle rit. Et moi, je reste là, les mains dans les poches, à essayer de garder un visage neutre alors qu'à l'intérieur, tout se bouscule.
Son regard finit par remonter vers moi. Et il me touche.
Encore.
Pas parce qu'il scrute mes yeux. Mais parce qu'il voit. Comme l'autre soir.
Et cette fois encore, il n'y a ni gêne, ni curiosité déplacée. Juste une attention sincère. Une présence. Comme si elle cherchait quelque chose - pas pour l'expliquer, mais pour le comprendre.
Je pourrais dire quelque chose. Lui demander ce qu'elle fait là. Ou même rien du tout. Juste rester. Rester et exister un peu avec elle dans ce morceau de parc que Tsuki a revendiqué pour nous deux.
Mais une voix m'arracha brutalement à cette bulle.
- Jenna ! Come on, we're going to be late !
Je sursaute presque.
Elle se redresse lentement, son sourire un peu hésitant, le regard qui s'accroche une seconde encore au mien.
Et c'est là que je sens la faille.
Cette petite fracture en moi. Celle qui me pousse toujours à reprendre le contrôle avant que les choses m'échappent. Avant que je m'échappe à moi-même.
Alors je m'incline légèrement, presque en excuse. Je murmure :
- Je vous laisse. Bonne journée.
Elle n'a pas le temps de répondre. Je m'accroupis pour rattacher la laisse de mon chien, même s'il proteste légèrement. Puis je me lève, je tourne les talons et je repars. Sans me retourner.
Chaque pas me coûte un peu.
Mais je les fais. Parce que c'est ce que je sais faire : partir avant que ça me touche trop. Avant que ça creuse en moi quelque chose que je ne saurais pas gérer.
Tsuki trotte à côté de moi, un peu déçu, comme s'il m'en voulait de l'avoir arraché à ce moment. Je lui caresse doucement la tête.
- T'es pire que moi, toi, je murmure.
Il lève ses yeux noisette vers moi.
Je soupire.
Et je continue de marcher. En silence. Avec, dans le ventre, ce quelque chose d'inavouable.
L'envie de revenir sur mes pas.
ESTÁS LEYENDO
Une recette imprévue
FanfictionQuand Jenna Ortega, star Hollywoodienne en quête d'authenticité, débarque à Paris pour un tournage, elle ne s'attend pas à croiser la route de Liv Hemerson, jeune cheffe prodige à la réputation aussi tranchante que ses couteaux. L'une fuit les proje...
