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La journée touche à sa fin.

Le service du midi s'est déroulé sans anicroche. Ma brigade est en train de nettoyer les postes, les fours sont éteints, les nappes repassées pour ce soir. Je me suis réfugiée dans mon bureau, juste derrière les cuisines. Une pièce exigüe, pleine de carnets, de recettes griffonnées, de boîtes à thé, de vieilles photos punaisées au mur.
Je tiens ma tasse de maté brûlant entre les doigts. Et je fixe mon téléphone posé à plat sur le bureau.
Aucune notification.
Je me sens idiote.
Tu n'attends pas de réponse. Ce n'était pas un message. C'était un clin d'œil. Un dessert, pas une déclaration.
Et pourtant... je ne peux m'empêcher d'espérer. De me demander si elle a aimé. Si elle a compris l'intention. Si elle a rit. Si elle a pensé à moi en le mangeant.
Je déteste ce sentiment. Ce vide entre un geste que j'ai fait et le silence qui suit.
Je suis en train de finir mon thé tiède quand mon téléphone vibre.

1 nouveau message.
J.Ortega

Je bloque une demi-seconde. Puis je déverrouille.

Ok. J'ai fait ce que t'as dit. J'ai léché la coupelle. Jusqu'à la dernière trace. J'assume. Et j'ai peut-être souri pendant vingt minutes comme une idiote dans un champ devant toute mon équipe. Mais ça valait chaque seconde. Merci, Liv. Vraiment.

Je relis le message. Deux fois.
Et je ris. Vrai. Léger. Il me surprend moi-même. Il me traverse la poitrine, me réchauffe les côtes.
Je m'affale un peu dans mon fauteuil, lève les yeux vers le plafond comme si j'avais besoin de me redresser de l'intérieur.
Elle a compris.
Et elle a aimé.
Je ne sais pas ce que je suis censée faire maintenant. Je ne suis pas habituée à ça. À envoyer des desserts comme on enverrait une pensée douce. À recevoir des messages d'une actrice américaine qui... lèche une coupelle et me remercie comme si je lui avait offert la lune.
Je pianote une réponse.

Ravi de savoir que l'intégrité de la coupelle a été compromise avec dignité. Mais maintenant tu m'as mis la pression. Il va falloir que j'invente quelque chose d'encore meilleur. Tu es prête à prendre ce risque ?

Je l'envoie avant d'avoir le temps de douter. Puis je repose le téléphone.
Et je souris toute seule dans mon minuscule bureau. Je souris parce que je ne peux pas faire autrement. Parce que cette femme a quelque chose d'inattendu, d'irrésistible, de profondément déroutant. Et qu'elle est en train de fissurer toutes mes vieilles règles, une par une.
Je regarde par la fenêtre.
Le ciel est clair. Le soleil se couche doucement sur Paris. Et je me dis que demain, peut-être... je pourrais bien recommencer. Trouver une nouvelle façon de la faire sourire.
Avec du chocolat, peut-être.
Ou du silence.
Mais un silence... qu'elle comprendra.

Je ne suis pas certaine de ce que je fais. Mais je suis certaine d'une chose : je n'ai pas ressenti ça depuis longtemps. Ce frisson inattendu. Cette attente douce. Cette idée que, peut-être, quelque chose de rare est en train de mijoter.
Et cette fois, je suis prête à laisser le feu allumé.

Une recette imprévueWhere stories live. Discover now