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Je pensais que rien ne pourrait surpasser l'assiette d'avocat que je venais de dévorer.


Je me trompais.

Quand Liv a ouvert la porte d'un petit frigo discret, au fond de la cuisine, et qu'elle en a sorti une assiette blanche, recouverte d'une cloche en verre... j'ai senti que quelque chose d'unique allait se passer. Elle l'a posée devant moi sans rien dire.

Puis elle a soulevé la cloche. Et l'air a changé.

Un parfum subtil s'est élevé dans la pièce. Poire mûre. Jasmin chaud. Une douceur enveloppante, presque sensuelle. J'ai retenu mon souffle.

- C'est un test, a-t-elle simplement dit. Un dessert que je peaufine.

Je l'ai regardée, les yeux ronds.

- Vous voulez dire que je suis votre cobaye ?

Elle a souri. À peine. Mais c'était là.

- Disons... ma première dégustatrice.

J'ai saisi ma cuillère comme si je m'apprêtais à ouvrir un coffre au trésor. Et à la première bouchée, mon âme a quitté mon corps.

C'était incroyable.

La poire fondait sous la langue, le jasmin arrivait comme une caresse, puis le sablé en dessous apportait le croquant parfait. Il y avait une légèreté dans la mousse, une chaleur dans la sauce... c'était précis, poétique, déroutant.

Je n'ai pas parlé. J'ai juste... dégusté. Chaque bouchée plus lente que la précédente. Comme si j'essayais de faire durer la magie.

Quand il n'est resté qu'une trace de mousse sur l'assiette, j'ai murmuré :

- Si j'étais seule, je lècherais l'assiette.

Elle a ri. Un vrai rire. Râpeux, un peu surpris. J'en suis tombée... sous le charme.

- Comment il s'appelle, ce dessert ? j'ai demandé.

Elle s'est figée une demi-seconde. Puis a haussé une épaule, l'air faussement détaché.

- Il n'a pas encore de nom.

Je l'ai regardée, longtemps. Je crois que j'ai compris. Mais je n'ai rien dit.

Elle a repris l'assiette vide, puis a commencé à ranger. Sans se presser. Avec une fluidité tranquille que j'ai retrouvée dans ses plats.

Je me suis levée à mon tour.

- Je peux vous aider ?

Elle m'a lancé un regard surpris, presque amusé.

- Je croyais que les actrices ne faisaient pas la vaisselle.

- Seulement quand elles veulent impressionner une cheffe.

Elle a ri. Encore. Ça devient une habitude que j'adore. Je l'ai suivie à l'évier. Elle lavait, je rinçais, j'essuyais.

- Aucune trace, m'a-t-elle dit. La vaisselle, c'est comme une scène : quand on la quitte, elle doit être impeccable.

Je me suis appliquée. Peut-être trop. À un moment, elle a pris une assiette de mes mains, l'a remise devant moi.

- Là. Regardez bien.

Son doigt a glissé sur une toute petite trace invisible.

- Vous la voyez ?

J'ai hoché la tête. Elle m'a regardée.

- Maintenant, vous savez.

Et j'ai adoré qu'elle me dise ça. Pas comme une élève. Mais comme quelqu'un qu'on choisi d'initier. Le reste s'est fait dans un calme doux. Un silence complice.

Quand tout fut rangé, elle a ôté son tablier, l'a plié avec soin, l'a posé sur le plan de travail. Puis elle a attrapé ses clés.

- Je vous raccompagne, a-t-elle simplement dit.

J'ai voulu protester. Dire que je pouvais appeler mon chauffeur. Mais ses yeux m'en ont coupé l'envie. Alors j'ai hoché la tête.

Nous avons quitté la cuisine. Elle a refermé la grande porte vitrée du restaurant derrière nous, a tourné la clé avec un petit clic sec qui a résonné plus fort que prévu. Puis nous avons marché.

Le 7e arrondissement était calme à cette heure. Les réverbères dessinaient des halos dorés sur les trottoirs. Paris avait cette odeur unique de pierre chaude, de fleurs fatiguées, de nuit en robe de soie.

Nous ne parlions pas. Mais nos pas étaient synchrones. Son manteau frôlait le mien. Et parfois, je la sentais tourner légèrement la tête dans ma direction.

J'avais envie de lui prendre la main. Mais je ne l'ai pas fait. Pas encore.

Quand nous sommes arrivées devant mon hôtel, je me suis arrêtée. Elle aussi. Elle m'a regardée. Droite. Calme. Un peu tendue.

- Merci pour ce soir, j'ai dit.

- C'est moi.

Un silence.

Je n'ai pas bougé.

- Je peux vous revoir ?

Elle a mis une seconde de trop à répondre. Mais quand elle l'a fait, sa voix était douce.

- Oui.

Et dans ses yeux, cette fois, il n'y avait plus de fuite.

Une recette imprévueWhere stories live. Discover now