Les applaudissements me prennent par surprise.
Je n'en voulait pas. Je ne les attendais pas. Et pourtant, ils résonnent derrière moi comme un remerciement que je ne peux pas fuir. Une ovation discrète, respectueuse, mais bien réelle. Pas un tonnerre de théâtre. Juste des paumes qui se touchent avec sincérité.
Je hoche une dernière fois la tête en guise de salut, puis je quitte la salle sans me retourner. Le silence de la cuisine m'avale comme une marée familière. Et pourtant... je n'y retrouve pas tout à fait mon souffle.
Je retire ma veste d'un geste rapide, mécanique. Je la plie avec soin. Comme toujours. Je prends un torchon propre et m'essuie les mains alors qu'elles ne sont pas sales. Je fais semblant de me replonger dans quelque chose. Une consigne à vérifier. Une fiche à ranger. Mais rien ne fonctionne.
Je suis ailleurs.
Ou plutôt... je suis restée là-bas.
À cette table.
À cette poignée de main.
À ce regard.
Elle.
Je savais vaguement qui elle était. Je ne suis pas recluse au point d'ignorer Hollywood. Je me souviens d'un article, d'une couverture que j'ai croisée sur le bureau d'un client, une vidéo dans une interview culinaire où on disait qu'elle adorait les ramens. J'avais noté, distraitement. Juste assez pour oublier.
Mais ce soir... rien n'était distrait.
Son regard s'est accroché au mien comme un hameçon invisible. Et pas à cause de mon nom. Pas à cause de mon titre.
À cause de mes yeux.
Et ça... c'est ce qui me trouble le plus.
Parce que d'habitude, quand les gens les remarquent, il y a ce petit temps d'arrêt. Cette question muette. Cette gêne feinte, suivie d'un compliment maladroit : "c'est rare, non ? C'est magnifique."
Je déteste ça.
Je déteste cette particularité qui attire l'attention malgré moi. Comme si mon regard n'était pas un regard, mais une anomalie esthétique.
Mais ce soir... c'était différent.
Elle n'a pas regardé mes yeux comme on regarde quelque chose de bizarre. Elle les a regardés comme on observe un feu. Avec une intensité silencieuse. Une sorte de... fascination pure. Et, pire que tout... je n'ai pas détesté.
C'est ça qui m'ébranle.
J'ai senti la chaleur de sa main, sa voix douce, un peu fébrile. Et pendant une demi-seconde - peut-être moins - j'ai voulu rester là. À côté d'elle. Juste un peu plus longtemps. Juste pour comprendre ce qu'il se passait.
Mais je suis rentrée. Bien sûr.
Parce que c'est ici ma place. Parce qu'elle est actrice, belle, célèbre, brillante. Et moi, je suis Liv. La Cheffe invisible. La voix discrète. Les mains calleuses. Je ne suis pas faite pour la lumière.
Je pousse un long soupir. Un de ceux qui nettoient un peu l'intérieur. Puis je rouvre mon carnet de notes, comme pour me remettre dans le présent. Il y a déjà les idées de demain. Les essais à tester. Les réglages à faire.
Je tourne la page. J'écris quelque chose. Une idée venue de nulle part : "Poire, jasmin, thé vert - texture mousseuse ?"
Et, sans le vouloir, je pense à elle.
À son regard.
À son sourire quand elle a dit que le céleri lui avait presque donné envie de pleurer.
À cette émotion qu'elle n'a pas cherché à cacher.
Je referme le carnet.
Je dois dormir. Récupérer. Rester droite.
Ce n'était qu'une soirée.
Ce n'était qu'un dîner.
Et pourtant...
Je sens que quelque chose a commencé.
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