~38~

74 10 1
                                        

Le soleil tape haut au-dessus de la campagne francilienne.

Le champ est vaste, les caméras prêtes, le vent soulève doucement la robe longue que je porte pour la scène d'aujourd'hui. Une autre époque. Une autre femme que je dois incarner. Une autre vie.
Mais entre deux prises, mon esprit me trahit. Encore et encore. Il retourne là-bas. Dans ce petit café parisien. Dans cette cuisine baignée d'odeurs. Et dans ses yeux.
Je revois ses gestes précis, ses silences enveloppants, et sa voix... cette voix légèrement trainante, mêlée d'Angleterre et de miel. Je n'arrive pas à m'en détacher.
- Dis donc, tu souris beaucoup, toi, aujourd'hui.
Je me retourne.
Mélanie. Elle tient une tasse de thé entre ses mains, les lunettes de soleil relevées sur le crâne. Elle me dévisage avec un petit air joueur que je commence à bien connaître.
- Je souris toujours, je réponds innocemment.
- Hm... non. Pas comme ça.
Elle s'approche, plus bas :
- C'est à cause de la cheffe, hein ?
Je ris, secoue doucement la tête.
- Il ne se passe rien, Mélanie.
- Ah bon ? Alors pourquoi tu as la même tête que moi quand on m'offre des truffes fraîches ?
Je lève les yeux au ciel, mais elle n'insiste pas. Elle sait lire entre les lignes. Et je sais qu'elle sait.
La matinée s'écoule. Deux scènes. Un changement de costume. Un peu de vent à gérer. Et puis, vers treize heures, une assistante vient vers moi avec un paquet dans les mains.
- Un livreur vient de déposer ça. C'est pour toi.
Je fronce les sourcils.
Un paquet ? Ici ?
Je prends délicatement la boîte.
Elle est magnifique. Carrée, d'un blanc mat, avec un ruban noir satiné noué parfaitement. Sur le dessus, une simple lettre dorée, élégante, fine : H.
Je reste figée un instant.
Mon cœur tape un peu plus fort. J'ouvre la boîte doucement. Le parfum m'envahit instantanément.
Jasmin.
Poire.
Feuilleté tiède.
C'est le dessert.
Je cligne des yeux, comme si je m'étais trompée. Mais non. C'est bien lui. Parfaitement présenté. Dans une petite coupelle noire mate, comme une œuvre d'art précieuse. Et sur le dessus, une petite carte cartonnée, crème, à la texture douce.
Je l'ouvre.
« N'hésite pas à lécher la coupelle. Personne ne regarde. -L »
Un rire m'échappe, spontané, sincère. Je lève la carte vers Mélanie, assise un peu plus loin. Elle me lance un regard suspicieux, lève les sourcils.
- Quoi ? Qu'est-ce que c'est ?
- Rien, je dis en cachant la carte dans ma poche.
- Je déteste quand tu dis « rien » avec cette tête-là.
Mais je ne réponds pas.
Je m'éloigne un peu du staff, trouve un coin d'ombre sous un arbre. Je m'assois dans l'herbe, la boîte sur mes genoux. Et là, je le mange. Lentement. À la première bouchée, mes épaules se relâchent.
C'est aussi bon que dans mon souvenir. Peut-être même meilleur. Et je souris toute seule, comme une idiote, à chaque cuillerée.
Et quand j'arrive au fond de la coupelle...
Je la regarde. Je regarde autour. Personne.
Et oui.
Je le fais.
Je la lèche.
Et je ris de nouveau.
Cette femme va me rendre folle. Et je crois que j'adore ça.

Une recette imprévueNơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ