Livre 2 - Chapitre 39

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Vendredi 26 septembre 1942

Cher journal,

Nous n'avons eu aucune nouvelle de Madeleine et André pendant deux jours, et bien que Le Suisse ai essayé de me le cacher, je voyais son inquiétude grandir d'heure en heure.

Si nous ne pouvions en parler ouvertement devant Edmund, les regards interrogateurs que nous échangions et les chuchotements incessants ne laissaient que peu de doute sur le fait que quelque chose d'anormal nous tourmentait. Mais Edmund a feint l'innocence, se contentant de nous observer arpenter la pièce comme des lions en cages.

Hier soir, alors que ma nervosité prenait le dessus, il est venu s'asseoir à mes côtés en claudiquant.

- Quand je suis entré chez les Fallschirmjäger, nous avons été amenés en plein milieu d'une forêt pour un exercice de terrain. Une initiation pour les débutants. Trente garçons immatures perdus en pleine nature qui devaient retrouver le chemin de la caserne. J'étais un idiot à l'époque, et je me suis éloigné du groupe pour vadrouiller et voir les alentours. Je n'ai jamais retrouvé mes camarades. J'ai passé trois jours seul dans la forêt, c'était la fin de l'automne et je n'avais assez de rations que pour une journée tout au plus. Quand j'ai finalement retrouvé mon chemin et que je suis rentré à la caserne, j'étais couvert de morsures et piqures d'insectes, je n'avais pas mangé depuis plus de vingt-quatre heures, et je m'étais foulé une cheville en traversant un ruisseau. Mes camarades croyaient que j'étais mort dévoré par un ours, et j'ai subi de sérieuses remontrances par mes supérieurs. Toute la caserne s'est moquée de moi pendant des semaines et les gars m'ont surnommé Crusoé, pour l'état dans lequel j'étais lorsque j'ai reparu. Mais je m'en fichais, parce que j'étais rentré justement. Malgré le froid, et la faim, et la peur, j'étais rentré chez moi. Mourir est plus difficile qu'on ne le croit.

Je suis restée incrédule. Il avait parfaitement compris la situation, et il essayait de me rassurer comme il le pouvait.

- Crusoé hein ? Ce n'est pas si éloigné de l'état dans lequel je t'ai trouvé.

Nous en avons ri ensemble, et il est resté à mes côtés, silencieux, une bonne partie de la nuit.

Au matin nous avons été réveillés par le fracas de Riri - ou Loulou, je n'en ai réellement aucune idée – rentrant dans la cave comme une tornade. Il s'est arrêté brusquement lorsqu'il a vu Edmund, les yeux si grands écarquillés qu'ils lui prenaient la moitié du visage. Il est vrai que même défait de son uniforme on le reconnaissait Allemand sans difficultés. Le Suisse s'est précipité et l'a secoué par l'épaule :

- Alors ? Quelles nouvelles ?

Le garçon est sorti de sa transe sans quitter Edmund des yeux.

- La mission est un succès. Bellone et Popeye reviennent ici dès que possible. Les autres rejoignent la planque numéro deux.

Une vague de soulagement m'a submergé. Puis immédiatement ensuite les questions. La présence d'Edmund était conditionnée au passage des parachutistes de la France Libre. Une fois cette mission menée à bien, sa présence n'était ni requise ni nécessaire, et je craignais la décision de Bellone quant à la suite des évènements.

Nous avons patienté, une heure, puis deux, et lorsqu'enfin nos chefs ont passés la porte, il était évident que la mission avait été difficile. Je me suis jeté dans les bras de Madeleine, et je l'ai sentie chanceler sous mon poids – pourtant pas bien lourd – alors que ses bras m'enlaçaient faiblement. André affichait lui aussi une mine épuisée, les trais tirés sur la moitié intacte de son visage. Il a serré chaleureusement la main du Suisse avant de se tourner vers moi. Madeleine ne desserrant pas son étreinte – j'ai un instant cru qu'elle s'était endormie contre moi – je me suis contentée de lui sourire, sincèrement heureuse de le voir de retour en un seul morceau. Sourire qu'il m'a immédiatement retourné, faisant sauter un battement à mon cœur bien malgré moi.

Je ne te connaissais pasWhere stories live. Discover now