Livre 1 - Chapitre 7

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Dimanche 16 juillet 1939

Cher journal,

Nous sommes dimanche soir, et je n'ai pas écrit ici depuis une dizaine de jours, n'ayant pas eu un moment pour moi. J'entends d'ici Cath me faire des reproches sur mon application ! Ma chère Cath, attends de voir mon emploi du temps des dernières semaines, tu comprendras mieux.

Depuis le début du mois de juillet je me suis préparée à mes examens de fin d'année. Je suis une élève plutôt studieuse et, si je ne suis pas dans les meilleures de ma classe, je me positionne dans la moyenne. Des groupes d'études étaient organisés chaque soir après la classe, je m'y suis donc rendue deux ou trois fois par semaine, en fonction des besoins de Madeleine à l'école primaire. Pour elle aussi le moment d'évaluer ses élèves approchait, et même si nous avions bien rattrapé le retard de certaines, d'autres restaient à la traine. J'ai notamment passé beaucoup de temps avec les plus âgés sur l'orthographe et la grammaire, laissant à Madeleine le soin de leur faire réviser le calcul.

Durant mes heures de ménage, j'ai pu discuter avec ma presque-belle-sœur des articles de « La Française ». Elle a su m'éclairer sur plusieurs points, notamment sur le fonctionnement des organisations féministes, et sur les dernières avancées pour le vote des femmes. Si j'en ai la possibilité après l'été, je crois que j'aimerai beaucoup m'engager auprès de ces femmes pour faire entendre ma voix. Mais nous n'en sommes pas encore là.

Dans les journaux que Madeleine a continué de m'apporter, les discours se sont durcis, et la demande de mobilisation en prévision de la guerre aussi. Moi qui, il y a quelques semaines encore, me demandait si je ne m'étais pas inquiétée pour rien, je ne pouvais pas me tromper plus. La situation internationale va de mal en pis, avec une arrivée toujours plus grande des réfugiés espagnols en France, l'Italie de Mussolini qui s'allie avec l'Allemagne d'Hitler, et même le Japon qui se mêle au débat. Madeleine, comme elle le fait avec ses élèves, m'explique patiemment les tenants et les aboutissants de chaque partie, mais j'avoue ne pas y voir très clair. Je sens surtout la tension accrue en ville, des manifestations ont déjà éclatées contre le pouvoir en place et je crois bien qu'Emile y a pris part. Cet imbécile va se faire prendre et va se retrouver dans le pétrin s'il ne se fait pas un peu plus discret. Lui et Madeleine m'ont l'air impliqué dans bon nombres d'actions, même si je n'arrive pas encore à savoir ce qu'ils manigancent exactement. Eux doivent me trouver trop jeune car chaque fois que j'aborde le sujet avec Madeleine elle coupe court à la conversation.

Et avec tout cela sont arrivées les célébrations du 14 juillet, en même temps que les vacances scolaires. Et si l'atmosphère avait été lourde dans les jours précédents, j'ai assisté à un changement étonnant à l'occasion des 150 ans – Eh oui ! de la Révolution française. C'est comme si le fourmillement inquiet s'était transformé en un joyeux bouillonnement patriotique. La ville s'est parée de drapeaux, de cocardes, de lampions aux couleurs bleu-blanc-rouge et la journée était marquée de nombreux évènements.

La matinée était réservée aux hommages au monument aux morts et je devais y assister avec Papa et Maman. C'est toujours une journée très spéciale pour Papa. Si l'on célèbre la révolution, se retrouver devant le monument au mort, érigé après la guerre, et où sont inscrits les noms des hommes avec qui il a combattu, est une épreuve. Bien que ce jour soit censé être une fête, pour beaucoup ce monument aux morts ravive d'intenses souvenirs. Avec le 11 novembre ce sont les seuls jours où Papa se laisse aller à l'émotion.

Les cloches de la ville ont sonné à l'unisson à huit heures, annonçant le début des hommages. Tous endimanchés, nous nous sommes rendus sur la place Foch, au pied de la colonne de calcaire fièrement posée sur son imposant socle sculpté. Je dois reconnaitre que le monument en lui-même m'a toujours impressionnée. Un grand nombre de personnes était présent pour la prise d'armes de neuf heures. Les personnalités de la ville bien sûr, mais aussi beaucoup de nos voisins, des filles de mon école accompagnant leurs parents, et même quelques petites de l'école primaire. J'ai craint qu'elles ne me reconnaissent et ne fasse éclater le secret si bien gardé jusqu'à présent, mais aucune d'elles n'a eu l'air de s'intéresser à moi. Dans la foule qui s'attroupait j'ai fini par apercevoir Emile, accompagné de Madeleine. Emile avec son maintien militaire avait fière allure, il ressemblait énormément à Papa, droit comme un piquet à côté de moi. Madeleine en revanche semblait débordée d'émotions. Accrochée à Emile, elle avait les yeux de quelqu'un ayant passé la nuit à pleurer, et tordait dans ces mains un mouchoir déjà passablement usé. L'évidence me frappa et je fixais un long moment la liste de noms gravés dans la pierre avant de trouver celui que je cherchais : Petit. Comme pour beaucoup, il n'y avait pas là un nom mais trois. Trois hommes d'une même famille, morts pour la France. Quelle tragédie.

Je ne te connaissais pasWhere stories live. Discover now