Livre 2 - Chapitre 16

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Lundi 5 août 1940

Cher journal,

J'aurais aimé pouvoir retourner à l'UFSF. Je me sentais prête, mais les bureaux sont fermés en été, bien que la misère et le droit des femmes ne prennent pas de vacances. Mais avec les nouvelles mesures allemandes il se peut que le bureau ne rouvre pas ses portes. Cela m'attriste. Je ressentais à nouveau le besoin de m'occuper. Et puis la compagnie de Jeanne me manque. En dehors de l'UFSF nous ne nous voyons pas si souvent que j'aimerais.

La rentrée approche, et moi qui pensait entamer une formation de sténo dactylographe comme l'avait demandé Papa, je me retrouve désœuvrée. L'école de Caen restera fermée à la rentrée, et nous n'avons pas les moyens pour que j'aille dans une école autre qu'à Caen. Pour être honnête cela ne me gêne pas, je n'ai jamais voulu être sténo dactylo. Mais je dois donc réfléchir à mon avenir, et dans l'urgence. Une formation d'infirmière étant exclue, Papa ne souhaitant pas en entendre parler, je dois me trouver une nouvelle vocation, ou un travail, pour m'occuper les mains et ramener un peu d'argent à la maison.

J'ai donc eu l'idée de reprendre le travail de Maman comme couturière pour la mercerie au bout de la rue. Au moins pour un temps. Je suis allé voir la patronne, Madame Blanchard, ce matin. Elle m'a reçu gentiment, et m'a écouté alors que je lui expliquais la situation de Maman, et ma volonté de la remplacer. Comme je n'avais aucune référence elle m'a mise à l'épreuve immédiatement, me demandant de faire la reprise d'une manche sur un chemisier féminin. Si je suis mauvaise au tricot je me débrouille relativement bien en couture et broderie, Maman m'ayant tout apprit. Dieu sait que j'en ai passé des après-midis, les yeux plissés sur des ouvrages minutieux. Mme Blanchard m'a avoué que le mois d'août était une période plutôt calme, mais a accepté de me donner quelques ouvrages pour que je remplace l'une de ses couturières en congés.

Je suis donc actuellement installée au soleil sur le perron, et je reprise des petits boutons de nacre. Cela me fait penser que je dois reprendre mes propres chemises et jupons. Avec les restrictions j'ai encore perdu du poids, et je dois tenir mes jupes à pleine mains pour qu'elles ne me tombent pas sur les chevilles !


Dimanche 11 août 1940

Cher journal,

Il s'est passé un incident des plus intéressants hier.

Le cinéma Le Majestic, où nous nous rendions régulièrement avec Nicole et Cath, est désormais réservé aux Allemands. Ils y ont passé un film d'informations hier, destinés aux Boches. Quelques Caennais ont réussi à s'infiltrer dans le cinéma et ont sifflé la parade des troupes du Reich présentée sur l'écran. Cela n'a pas du tout plu au chef de la Kommandantur, un certain Elster. Piqué dans son orgueil il a donc décidé d'instaurer un couvre-feu, et a interdit la programmation de films jusqu'à nouvel ordre. Nous devons donc être chez nous entre 20h et 5h du matin, ce qui ne me change pas vraiment du couvre-feu imposé par Papa. Quant à la programmation de films, ce gros bêta d'Allemand prive autant ses soldats que nous, et cela me fait bien plaisir. Je félicite les Caennais et Caennaises qui sont allés siffler ces imbéciles, et leur faire comprendre que malgré les apparences ils ne sont pas tout à fait en terrain conquis ici.

Je supporte de moins en moins de voir ces uniformes nazis arpenter nos rues fièrement, comme s'ils n'étaient pas responsables de toute la misère autour d'eux. J'espérais que la cohabitation pourrait se faire de manière pacifique mais voilà deux mois qu'ils sont là, et la situation va de mal en pis. Vols, dégradations, pratiques de marché noir, je ne sais pas où ont été élevés ces hommes, mais leurs mères ne doivent pas en être fières. Tous les dégâts en ville, causés par le passage des chars à leur arrivée, et les dégradations causées par ces rustres, ce sont des ouvriers français qui se chargent de les réparer. Et eux de passer à côté de ces hommes en sueur pour s'en moquer. Leur arrogance n'a pas de limites.

Je ne te connaissais pasWhere stories live. Discover now