Livre 2 - Chapitre 30

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Dimanche 5 octobre 1941 

Cher journal, 

Je suis allée chez Jeanne hier. 

Je m'inquiétais trop. Et ce que j'y ai vu ne me rassure pas.Jeanne vit seule, dans une petite chambre de bonne, dans une pension pour jeunes filles. La logeuse qui m'a ouvert avait un air affable, et ne m'a pas posé de questions. Elle m'a simplement indiqué la chambre de Jeanne, et la porte à laquelle j'ai dû frapper plusieurs fois,avant d'entendre le bruit de pantoufles glissant sur le sol. Lorsqu'elle a ouvert la porte j'ai cru m'être trompée d'adresse. Elle était pâle, très pâle. Et maigre, bien plus que la dernière fois où je l'avais vue. Je m'étais déjà fait la réflexion alors, mettant cela sur le compte de la faim et des rations qui nous étaient imposées à tous. Mais il était évident que cela allait au-delà de ça. 

Me voyant debout sur son paillasson elle a immédiatement mis un foulard devant sa bouche, m'indiquant de ne pas entrer. 

- Eugénie ! Ça me fait plaisir de te voir, mais tu devrais reculer. J'ai attrapé un coup de froid, je ne voudrais pas que tu tombes malade à ton tour. 

Elle a eu un sourire forcé, et j'ai pu m'apercevoir combien ses lèvres étaient marquées, mordues au sang, marbrées de rouge et de blanc.

- Jeanne, tu es sûr que tu vas bien ? Tu as vu un médecin ? 

- Oui oui il m'a prescrit du repos. Ce n'est vraiment rien Eugénie, un coup de froid. Inutile de t'inquiéter. 

 Je crois qu'elle a voulu rire, mais celui-ci s'est étranglé dans sa gorge, ma Jeanne toussant de toutes ses forces dans son foulard. Je n'aimais pas du tout le son de cette toux. J'ai voulu m'approcher d'elle, mais elle a immédiatement refermé la porte sur elle, pour que je ne la touche pas. 

- Je suis fatiguée Eugénie. Il vaut mieux que je me repose maintenant. Je viendrais te voir dès que j'irais mieux d'accord ? Rentre chez toi. 

Son ton était sans appel. Elle ne demandait rien, ne m'implorait pas, elle m'ordonnait de la laisser tranquille. J'ai reculé à contre cœur, entendant la porte se refermer dans mon dos, immédiatement suivie d'une affreuse quinte de toux étouffée qui m'a déchiré le cœur. Je savais depuis le premier jour que Jeanne n'avait personne, qu'elle avait pris la fuite lorsque son père avait menacé de la marier de force. Alors qui prenait soin d'elle en ce moment ? 

Je me suis de nouveau arrêtée devant l'office de la logeuse. 

- Pourriez-vous m'appeler ou me faire savoir si Mademoiselle Jeanne avait besoin de quoique ce soit ? Je reviendrai la voir, mais si entre temps elle avait besoin... 

Avec un grognement la femme m'a arraché des mains le papier avec l'adresse que j'y avais inscrite, avant de fermer la porte de son cabinet, me signifiant que l'entrevue était terminée.Dès mon retour à la maison j'ai inscrit sur un papier les différents symptômes que j'avais pu observer chez Jeanne, me promettant de demander à Nicole ce qu'il en était au plus vite. 

Je ne te connaissais pasWhere stories live. Discover now