Livre 2 : Chapitre 37

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Dimanche 13 septembre 1942

Cher journal,

Je suis toujours enfermée dans la cave, avec mon blessé qui reprend peu à peu conscience.

Au lendemain de son apparition nous avons appris que les débris d'un avion allemand avaient été retrouvés en campagne au sud de Caen. André, qui s'est rendu sur les lieux, a déterminé qu'il s'agissait d'un Dornier Do 17, un petit bombardier. Cependant les journaux rapportaient au matin que l'appareil avait été trouvé vide de toute bombe et de son pilote. La coïncidence est trop grosse, et nous soupçonnons donc fortement avoir affaire au pilote disparu. Mais celui-ci est encore trop faible, trop perdu dans les nimbes de la morphine pour nous expliquer ce qu'il fait là.

Lorsque Nicole est apparue dans la cave, deux jours après toute cette affaire, elle n'en a pas cru ses yeux. C'est Charlie qui me tenait compagnie depuis déjà de longues heures, et lorsqu'il a vu entrer Nicole, accompagnée de Madeleine, il a poussé un soupir de soulagement. Dès que Bellone l'en a autorisé, il a bondi sur ses pieds pour sortir aussi vite que possible, comme si le fait de respirer le même air qu'un Allemand le rendait malade.

Nicole, mise au courant de toute l'histoire par Madeleine, s'est approché du blessé, incrédule. On aurait cru qu'elle cherchait à apprivoiser une bête sauvage, qui exerçait sur elle une étrange fascination. Je ne pouvais que la comprendre : nous entendions parler de ces hommes depuis des mois, des horreurs qu'ils commettaient sans remords, et voilà que l'un d'eux dormait paisiblement dans le seul endroit que nous avions réussi à préserver de leur barbarie.

Madeleine a pris son poste de garde sans un regard pour l'homme, tandis que je restais assise près du lit de camp, attentive à sa respiration pour être sûre qu'il ne souffrait pas trop.

Nicole a bien vite repris ses esprits, affichant le visage concentré du médecin en action. Délicatement elle a nettoyé les plaies qui suppuraient, désinfecté, rincé, et refermé la chemise de son patient, sans cesser de me jeter des regards circonspects, espérant sans doute savoir ce qui m'était passé par la tête. Mais hormis la certitude de sauver une vie, je ne pouvais pas expliquer mon geste.


Mardi 15 septembre 1942

Cher journal,

L'atterrissage manqué d'un aviateur allemand dans nos campagnes a mis toute la Feldokommandatur sans dessus dessous. Depuis dix jours le nombre de soldats allemands dans nos rues a doublé, paralysant du même coup la moindre de nos actions. Tandis qu'ils cherchent leur compatriote, nous faisons notre maximum pour rester discrets, planqués et avons suspendus toutes actions en cours jusqu'à nouvel ordre.

Le largage de parachutistes de la France Libre prévu dans les prochains jours à mis Bellone et Popeye sur les dents. Par ma faute c'est toute l'opération qui est compromise, et Madeleine ne manque pas de me le rappeler quotidiennement. Si la tension n'est pas redescendue d'ici à mercredi, il faudra annuler l'opération et dérouter les parachutistes vers Rennes ou Brest, leur faisant perdre de précieuses heures pour rejoindre ensuite la Zone Libre. Je me sens responsable, bien sûr, que mon action ait de si grosses répercussions, mais qu'aurais-je bien pu faire d'autre ?

C'est Alice qui a récupéré mon poste tant que je suis confinée dans la cave, et c'est donc elle qui assure l'espionnage des troupes en postes à Caen, le mouvement de chacun, et le nombre de patrouilles appelées en renforts pour mener à bien cette chasse à l'homme. Je ne suis pas sûre qu'elle me soit très reconnaissante de cette montée en grade impromptue, étant donné le bazar qui semble régner à la Feldokommandatur.

Je ne te connaissais pasWhere stories live. Discover now