Livre 2 - Chapitre 13

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Lundi 17 juin 1940

Cher journal,

La situation a complètement basculé. L'armistice va être signée. Le Maréchal Pétain l'a annoncé aujourd'hui par la radio : « C'est le cœur serré que je vous dis aujourd'hui qu'il faut cesser le combat ».

Papa a soupiré, la tête dans les mains, et Madeleine a juré ses grands dieux avec des insultes que je ne pourrais pas répéter ici. Mais le Maréchal en a pris pour son grade.

Quant à moi je suis partagée. Je ne sais pas ce qu'il adviendra de nous par la suite, je ne sais pas quels sont les plans du Führer, mais dans l'immédiat je n'espère qu'une chose : le retour d'Emile !

Dimanche 23 juin 1940

Cher journal,

Nous sommes en Zone occupée, comprendre qu'ici les Allemands sont chez eux. Ou font comme ci. On dit que Rennes a été violemment bombardée hier. Ici la ville a été déclarée ouverte, j'espère que cela évitera tout bombardement. Les premières divisions allemandes sont arrivées en ville dès jeudi. Ils ont pris leurs quartiers dans les magasins de manutention militaire, et la Feldkommandantur est installée à l'Hôtel Malherbe. Cela a créé quelques tensions en ville, une brève fusillade a éclaté rue des Coutures et un officier français et un soldat allemand ont été blessés. On raconte aussi qu'une Caennaise s'est fait lyncher par d'autres femmes pour avoir indiqué son chemin à un Allemand. Je n'avais pas encore connu un tel niveau de violence proche de chez moi.

Papa m'interdit de sortir autrement que pour aller au lycée et en revenir, il dit que c'est trop dangereux pour moi de rester à la merci de ces Boches. Pour l'instant je n'ai aperçu que quelques militaires, mais l'ambiance en ville est pesante.

Et en parallèle de cela, demain commence mes épreuves du Baccalauréat.

Je devrais me concentrer sur ce tournant important, je devrais dormir, il est déjà tard. Mais je ne peux pas fermer l'œil. Je ne nie pas l'importance de ces examens, ils sont déterminants pour moi, c'est l'aboutissement de mes études, et pourtant je ne parviens pas à fixer mon esprit sur les épreuves qui m'attendent. Les Boches ont réquisitionné le lycée pour en faire un hôpital militaire, nous passerons donc nos épreuves dans la salle de réception d'un hôtel du centre-ville. Cela n'a aucun sens.

Les discussions politiques entre France et Allemagne ne m'intéressent pas. Madeleine, qui fulmine que la ville soit sous le contrôle des Boches, a écouté le discours d'un général, De Gaulle il me semble, qui parlait depuis l'Angleterre. Elle dit que l'homme nous incite à continuer la lutte. Quelle lutte ? Mettre la ville à feu et à sang ? Je me sens lasse. Je ne pense qu'à Emile. Puisque l'armistice a été signée il devrait pouvoir rentrer n'est-ce pas ?

Je voudrais qu'il soit déjà auprès de moi.


Lundi 24 juin 1940

Cher journal,

Pour je ne sais qu'elle raison, l'heure allemande a remplacé l'heure française aujourd'hui. En quoi ont-ils besoin de nous imposer leur heure ? Qu'est-ce que cela peut bien changer pour eux ?!

Nouvelle heure ou pas, j'ai passé ma première épreuve aujourd'hui, philosophie. Je crois que cela s'est bien passé. Mais je n'ai pas pu m'empêcher de noter l'absence de certaines de mes camarades aux épreuves de ce matin. Alice, Thérèse, Yvonne et Madeleine. Nicole me dit qu'elles ont été surprises à écrire à la craie, sur les murs, des injures antiallemandes. Elle ajoute qu'elles auraient été "sévèrement admonestées". Je ne sais pas ce qu'elle sous-entend par là. Je n'ai pas cherché à le savoir. J'en ai parlé ce soir à Madeleine, mais elle semblait déjà au courant. Elle dit que c'est un geste de résistance, et que ces jeunes filles sont courageuses. Je ne sais pas quoi en penser. Courageuses ou inconscientes ? Une partie de moi jubile que ces Boches aient été mis devant la vérité de ce qu'ils sont. Mais qu'adviendra-t-il de mes camarades pour quelques insultes sur un mur ? Cela en vaut-il la peine ?

Je ne te connaissais pasWhere stories live. Discover now