Livre 1 - Chapitre 3.

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Les deux jours suivants sont flous. La chambre d'hôtel impersonnelle, les appels à la famille, prévenir les amis, les condoléances. Beaucoup de condoléances.

Même le personnel de l'hôtel a compris que cette famille-là traversait une passe difficile, et offrent désormais des sourires contrits dès qu'ils se présentent au petit déjeuner. Peu de paroles sont échangées. Chacun est muré dans son chagrin et ça fait comme un grand brouillard sur le reste du monde.

Et puis les autres membres de la famille les rejoignent. Il y a d'abord Emile, le frère ainé de Richard. Dix ans les séparent. Un modèle. Marié à Evelyne, deux enfants - des cousins que Deborah ne voit jamais. Retraité dynamique, Emile affiche le teint halé de ces gens qui vivent six mois de l'année à l'étranger. Le reste du temps lui et sa petite famille sont installés du côté de Biarritz, une maison en bord de plage, où Deborah est allée passer quelques jours quand elle était enfant. Elle en garde des souvenirs de sel sur les lèvres, de soleil qui chauffe le parquet, et de pains au lait plein de sable. Les deux frères sont restés proches malgré la distance, et les retrouvailles sont émues.

Vient ensuite Tante Marie, affichant en toutes circonstances un air pincé. Unique fille d'Eugénie, de vieilles querelles familiales l'ont éloigné de sa mère et de ses frères. Elle traine derrière elle son mari Thierry qui, malgré leurs trente ans de mariage, marche en permanence sur des œufs dans la crainte de mettre sa femme en rogne. Volontairement ou non, le couple n'a jamais eu d'enfants, et ils vivent donc tous les deux dans un appartement sur la Promenade des Anglais, à Nice. Les yeux secs, Tante Marie serre tour à tour les membres de sa famille dans ses bras, en prenant grand soin de ne pas froisser son tailleur. Etrangement, son mari est le plus démonstratif. Serrant son beau-frère à l'étouffer, il sanglote quelques paroles inaudibles, sous le regard presque consterné de sa femme.

Ils sont tous là, dans le petit salon des pompes funèbres, pour un dernier adieu à la défunte, avant la cérémonie religieuse du lendemain.

Deborah s'est mise à l'écart. Ce n'est pas comme si cela changeait quelque chose. Peu de gens dans la pièce semblent se soucier, ou même avoir connaissance, de son existence. Elle sirote le verre de vin tiède qui lui a été servi en l'honneur de Grand-Mère, et regarde défiler des amis de la famille, des anciens voisins, et quelques personnes qu'elle n'identifie pas. L'atmosphère est presque légère parmi tous ces gens qui se retrouvent, parfois après des années sans se voir. Elle est même stupéfaite de voir certains des invités sourire.

Comment peuvent-ils ?

Ses parents tentent de faire bonne figure, mais Deborah voit bien les épaules de son père se vouter à chaque poignée de main ou condoléances qu'il reçoit.

Tout en observant l'assemblée, elle tente d'oublier le cercueil, fermé, au centre de la pièce. A chaque fois que ses yeux se posent sur le bois vernis et les poignées de laiton elle a l'impression qu'elle va défaillir. Quelle idée vraiment. Disposer ainsi un corps sans vie. Elle a le sentiment de devoir faire le moins de bruit possible pour ne pas réveiller la belle-au-bois-dormant couchée là. Elle ne comprend pas tous ces gens qui échangent des nouvelles comme si de rien était. La vague de colère recommence à faire de remous. Et puis elle ne se sent vraiment pas à l'aise dans cette robe idiote. Sa poitrine est compressée dans son décolleté, et elle ne parvient pas à maintenir fermé ce fichu gilet pour qu'il cache tous ses bouts de peau qui dépassent. Elle a déjà surpris un regard appréciateur d'un petit papi – comme si c'était le moment – et la moue qu'a esquissé Tante Marie quand elle est descendue ce matin ne laisse aucun doute quant à son avis sur la tenue de sa nièce. Elle se tortille pour rabattre les pans du gilet sur elle. Alors qu'il fait une chaleur à crev – non.

Mauvais jeu de mots.

Le verre de vin ne doit pas aider. Elle a de plus en plus de mal à respirer. Les conversations forment un brouhaha désagréable. La transpiration coule dans son dos.

Je ne te connaissais pasHikayelerin yaşadığı yer. Şimdi keşfedin