Livre 1 - Chapitre 5

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Mardi 30 mai 1939

Cher journal,

Emile est passé me prendre à la sortie de l'étude aujourd'hui, pariant sur le fait que Papa ne me demanderait pas de rentrer immédiatement. Et il a eu raison. Papa était déjà parti à mon réveil et n'avait laissé aucune consigne à mon attention, une première. Les nouvelles du dimanche l'avaient visiblement bien secoué.

La venue d'Emile devant les grilles du lycée a provoqué un léger mouvement de foule, plusieurs de mes camarades se souvenant soudainement de mon existence et me raccompagnant en toute innocence jusqu'à mon frère. Lui, trop heureux de faire l'objet d'autant d'attention, a fait jouer son charme quelques minutes, avant que je ne lui rappelle la raison de sa venue, et sa belle l'attendant surement de pied ferme. Sur le chemin menant à l'école primaire des filles, je n'avais de cesse de lisser les plis de ma jupe et de réajuster mon chemisier, craignant de passer pour une mal fagotée devant celle qui semblait avoir fait chavirer mon frère.

J'avais tort de m'inquiéter.

Nous sommes arrivées après la sortie des classes et l'école étaient vidée de ses petits occupants. Ne restaient que des jouets à travers la cour, quelques vestons oubliés sur les portemanteaux et beaucoup, beaucoup, de traces de boue, de branches et de fleurs fanées dans les couloirs. Sur les murs des encadrements affichaient les réalisations d'artistes en herbes, des tableaux très abstraits pour la plupart, quelques textes à l'écriture hésitante, et des mantras de la république française qui cadraient mal avec les couleurs éclatantes des peintures enfantines.

De tout cela résultait une ambiance qui m'a fait remonter le temps, et c'est avec nostalgie que j'ai pénétré dans la salle de classe que m'a indiqué Emile.

Et devant l'épouvantail qui nous attendait là, les plis de ma jupe n'ont plus eu aucune importance.

Une silhouette fluette, de lourd cheveux bruns, ramassés en ce qui avait dû être un chignon plus tôt dans la journée, une chemise à demi sortie d'une jupe de tailleur, et l'ensemble taché de peinture multicolore. Madeleine.

Lorsque nous sommes entrés dans la classe elle s'est retournée vers nous et, face à mon étonnement, s'est excusé aussitôt pour sa tenue.

- J'ai cru qu'une activité peinture serait une bonne idée pour commencer la semaine, a-t-elle ajouté en riant.

J'esquisse un sourire en la voyant remonter une épaisse mèche de cheveux sur son front, y laissant au passage une jolie trace de peinture orange. Emile l'enlace, et, se rappelant ma présence, dépose pudiquement un baiser sur sa joue.

Le contraste entre les deux est saisissant.

Lui, pourtant pas très grand, la dépasse d'une bonne tête, et ses épaules semble l'engloutir tout entière. Pourtant, malgré son apparence fragile, c'est d'elle que se dégage une puissante énergie. Sous ses cheveux noirs, deux grands yeux sombres m'observent en détail. Concentrée sur moi, elle perd un instant son sourire enfantin et semble tout à coup bien plus sérieuse, et un tantinet effrayante. Mais une fois son observation terminée elle affiche à nouveau un grand sourire et me tend une main pleine de peinture.

- Enchantée, Eugénie, dis-je en prenant garde à ne pas broyer ces doigts minuscules. Mais sa poigne est forte.

- Oui, je sais, me répond-elle avec un sourire malicieux, je suis Madeleine.

- Oui, je sais, réplique-je avec le même sourire.

Elle jette un coup d'œil appréciateur vers Emile qui ne cesse de sourire en nous observant toutes les deux. Prenant confiance je tourne sur moi-même et observe la pièce. Les petits bureaux de bois, les bancs, les fournitures, tout est sens dessus dessous, et même si on devine que le plus gros a déjà été ramassé, il reste encore beaucoup à faire pour que la pièce - et sa propriétaire, redevienne présentable.

Je ne te connaissais pasWhere stories live. Discover now