Livre 2 - Chapitre 18

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Samedi 1er novembre 1940

Cher journal,

La journée a été éprouvante.

Une fois n'est pas coutume Papa a tenu à ce que nous nous rendions à l'église, avant de rejoindre le cimetière. L'atmosphère lourde et mélancolique dans la chapelle a fait remonter beaucoup de douloureux souvenirs, et je n'ai pu chasser l'image de la lettre nous annonçant le décès d'Emile de mon esprit. Chacun d'entre nous a porté sa peine avec beaucoup de dignité toute la journée, sur les bancs de l'église comme le long des allées grises du cimetière. Le nom d'Emile a été gravé récemment sur le caveau de famille, où reposent mes grands-parents et Odette. J'y ai déposé une gerbe de fleurs jaune vif, pour apporter un peu de gaieté, mais en vérité je ne voulais qu'une chose : m'allonger sur ce caveau et rejoindre Emile.

Alors que nous venons de rentrer, je ne pense qu'à dormir et oublier toute cette douleur.

Dimanche 2 novembre 1940

Cher journal,

J'ai passé la semaine à coudre la couverture pour Maman, et aider Papa à l'épicerie. Non pas qu'il ait réellement besoin d'aide, les étagères sont à moitié vides. Il s'agit plutôt de faire de la diplomatie, d'expliquer aux clients que nous sommes à court de presque tout ce dont ils pourraient avoir besoin. Et il faut croire que les gens préfèrent m'écouter, plutôt que Papa. La diplomatie n'est pas son fort, nous le savions déjà. Pourtant il doit garder un minimum de marchandises en rayon. Si l'épicerie n'est plus en mesure de vendre la moindre denrée elle sera fermée, puis reprise par les Allemands qui eux possèdent un stock apparemment conséquent de produits divers. Où se fournissent ils me demanderez-vous ? La rumeur veut qu'ils aillent se servir directement dans les fermes alentours, rachetant bétail et cultures aux fermiers pour des prix dérisoires. Mais que peuvent bien faire ces pauvres gens lorsque l'on négocie les prix avec une baillonnette pointée sur votre cou ? Les Allemands achètent bas, et profitent de nos pénuries pour revendre la marchandise deux fois plus chère. Papa enrage. Des voleurs, voilà ce qu'ils sont.

Nicole passe me voir régulièrement, pour partager nos informations. Elle est aussi inquiète que moi pour Cath. Cette absence de nouvelles ne nous dit rien de bon.

Mais cette semaine elle avait un sujet bien plus juteux à discuter. Elle a appris par des étudiants en médecine qu'une manifestation aurait lieu lundi prochain, à l'occasion de la cérémonie du 11 novembre. Nous ne devrions pas la fêter, puisqu'elle célèbre précisément la victoire des Alliés sur les Allemands, mais c'est là tout le but de la manifestation. Célébrer cette victoire, leur montrer que nous n'acceptons pas l'occupation, que nous sommes toujours Français et que ces diables Boches ne sont pas chez eux ici. L'envie de joindre cette manifestation me taraude. Je sais que je risque gros, les Allemands ne me feront pas de cadeau parce que je suis jeune ou une femme. Au contraire, ils pourraient bien y trouver un avantage pour me punir. Mais les évènements, les injustices, s'accumulent les unes après les autres et je ne peux rester inactive. Emile, Cath, les enfants de Coudeville, Madeleine, l'antisémitisme, l'atelier de Madame Blanchard, l'épicerie... Je ne peux plus fermer les yeux. Il faut se révolter, on ne peut pas se laisser faire indéfiniment n'est-ce pas ?

J'ai encore une semaine pour décider si j'en serais ou pas. Les pours et les contres s'affrontent sous mon crâne. Nicole m'a dit qu'elle essaierait d'obtenir plus d'informations de ses collègues, mais elle doit être prudente, nous ne savons pas vraiment qui est digne de confiance ou non.


Dimanche 10 novembre 1940

Cher journal,

Je ne te connaissais pasWhere stories live. Discover now