Livre 2 - Chapitre 12

10 3 0
                                    

Vendredi 17 mai 1940

Cher journal,

Le gouvernement annonce de grandes pertes chez l'ennemi.

Grand bien leur fasse ! Je veux que l'on me dise où est mon frère !!


Dimanche 26 mai 1940

Cher journal,

Cela fait dix jours que nous sommes pendus aux informations qui nous sont données dans les journaux et par la radio. Nous n'avons toujours pas de nouvelles d'Emile. Je redoute l'impensable. L'inquiétude me tient éveillée chaque nuit, et je reste étendue à côté de Madeleine, qui ne dort pas plus que moi, attendant le matin et les nouvelles du jour.

Hier soir Madeleine est rentrée très tard, mais ni moi ni Papa n'étions encore couchée. Elle a fait irruption dans le salon, se laissant tomber dans un fauteuil, avec un air très inquiet. Elle avait visiblement quelque chose d'important à dire, mais a d'abord regardé Papa puis moi, puis à nouveau Papa, avec un point d'interrogation dans les yeux. Comprenant qu'elle voulait m'éloigner je m'apprêtais à protester, mais Papa a été plus rapide que moi : « Elle peut rester, quoique ce soit elle finira par l'apprendre. ». Madeleine m'a sondé, me jaugeant comme lors de notre première rencontre. Ne pouvant de toute façon pas contester la décision de Papa, elle a pris une bouffée d'air avant de se lancer :

- C'est pire que ce que l'on craignait. Les Allemands ont atteint l'Oise, a pris Cambrai, on estime qu'il a fait plus de 10 000 prisonniers et anéantis 100 blindés français depuis le 12 mai. Depuis Cambrai il a progressé vers Arras. Là les chars britanniques ont brutalement attaqué, ils ont réussi à le repousser temporairement mais leurs forces étaient trop faibles, et les Anglais ont dû évacuer à la deuxième offensive. Amiens et Abbeville ont été pris aussi. Des unités allemandes ont atteint la côte à Noyelles. Et les panzer attaquent Boulogne et Calais. Les Allemands ont créé un corridor d'au moins trente kilomètres de large des Ardennes à la Manche et ils l'élargissent encore. L'armée française n'a plus de réserve, nous avons atteint le point de rupture. On entend même que des employés du gouvernement français commencent à brûler les dossiers secrets.

Je l'écoutais, hébétée. D'où tenait-elle toutes ces informations ? A en croire les journaux les percées effectuées par les Allemands n'étaient pas si importantes et nous étions toujours dominants dans les combats. Le discours de Madeleine sonnait différemment. Elle continua :

- Reynaud a rappelé Pétain pour le faire vice-président du Conseil. On parle d'évacuer la BEF. Ils ont déjà commencé à se retirer pour lancer dès que possible l'évacuation depuis Dunkerque. Il semble qu'Hitler ai demandé un arrêt partiel de l'avancée de ses troupes un peu plus tôt aujourd'hui. Mais les Anglais s'en vont Claude, et les Allemands ne s'arrêteront pas. Ils vont continuer à avancer.

Elle se tut, pantelante. Mon père la regardait, le visage grave, tandis que j'essayais d'assimiler tout ce qu'elle venait de nous annoncer. Comme Papa restait silencieux je décidais de poser la question qui me taraudait :

- Madeleine... et Emile ? Tu as dit qu'il y avait des prisonniers ! Et Emile ?! Avons-nous des nouvelles ?!

Elle a secoué la tête, gardant le visage fermé, avant de se reconcentrer sur Papa.

- Claude, les Allemands ne s'arrêteront pas en si bon chemin. Vous avez entendu les rumeurs, vous avez vu ce qu'ils font des villes dans lesquelles ils passent.

Elle sous entendait clairement que même à Caen, à des centaines de kilomètres des combats, nous n'étions pas en sécurité. Papa a secoué la tête.

Je ne te connaissais pasWhere stories live. Discover now