Livre 2 - Chapitre 26

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Dimanche 8 juin 1941 

Cher journal, 

Les choses s'activent, d'un côté comme de l'autre. 

Le rendez-vous avec Charvet – le Capitaine Frenay – a enfin été fixé. Il se déplace chez nous dans les prochains jours, même si notre bonne Bellone n'a pas jugé utile de nous dire quand cela se ferait exactement. En savoir le moins possible nous protège et protège le secret, nous l'avons tous accepté. 

Cette entrevue tombe à point nommé, car les nazis viennent eux aussi d'avancer leurs pions.Depuis plusieurs semaines, des négociations sont engagées entre France et Allemagne, et on ne parle plus que la libération de quelques centaines de prisonniers français, retenus dans les camps de l'autre côté de la frontière. Des anciens combattants, qui seront gracieusement renvoyés chez eux par le Reich dans les prochaines semaines. Magnifique ! 

Mais un peu plus tôt cette semaine, toute notre belle satisfaction est retombée. Sur ordre des Nazis sans aucun doute, le Maréchal a signé ce qu'ils appellent le « second statut des juifs ». Ce simulacre de loi retire ainsi à toute une partie de la population sa citoyenneté. Ils ont aussi interdit aux étudiants juifs d'apprendre en limitant le nombre de places qui leurs est attribué dans les universités. Cette loi s'applique aussi bien aux Juifs Français que ceux venant de l'étranger, et les rumeurs de premières rafles font surface. 

 Nos espoirs reposent donc sur cette rencontre avec Charvet. Notre mobilisation doit contrer cette injustice. 


Mardi 10 juin 1941 

Cher journal, 

Je crois que l'on peut dire que j'ai été promue. 

Non pas chez Madame Blanchard, mais au sein de « Ceux de la résistance ».

 Ce soir, après l'habituelle réunion, et alors que Nicole et moi nous apprêtions à rentrer, Madeleine m'a interpellée, me demandant de l'attendre pour partir. Nicole est donc remontée seule, tandis que je reprenais place sur mon banc. J'ai attendu sagement, observant la salle sevider petit à petit. Bientôt nous n'étions plus que six : Madeleine et André bien sûr, Le Suisse, dont la montre ne cessait de sauter dans la paume de sa main, Chaplin – en référence à sa petit taille - toujours collé à Madeleine, Alice et moi-même. Madeleine nous a fait signe de nous rapprocher de la table, qu'elle et les autres ne quittaient jamais. J'ai jeté un regard interrogateur à Alice, qui pour une fois ne semblait pas en savoir plus que moi.Sur la table était étalée une grande carte de Caen, raturée et annotée, et dont les pliures trahissaient l'utilisation récurrente. Madeleine l'a lissé de la main, avant de commencer : 

- Charvet arrive ce samedi, et nous six, nous serons ses interlocuteurs. Nous six uniquement. Il n'est pas question d'en parler aux autres. 

Elle a fixé chacun d'entre nous dans les yeux, s'assurant de notre silence. 

- D'Artagnan, Ginger, je sais que vous n'êtes pas habituées à ce genre de rencontre, mais depuis les arrestations le mois dernier vous faites désormais parties des plus anciennes d'entre nous. Et le fait que vous soyez des jeunes femmes ne peut que jouer entre notre faveur en cas de questions des Boches. 

J'ai senti un frisson d'excitation courir le long de ma colonne vertébrale, tandis que Madeline continuait, ne cherchant pas à savoir si nous étions d'accord ou non. 

- La rencontre aura lieu dans la ferme repérée par les gars il y a quelques semaines, en dehors de la ville, lieu-dit La Tourelle. D'Artagnan, toi et le Suisse je veux que vous vous rendiez là-bas le plus tôt possible, et que vous sécurisiez l'endroit. Entrées, sorties, sorties de secours, voisinage, tout doit être clair. On y restera normalement que quelques heures, mais si la rencontre doit s'éterniser, préparez de quoi tenir la nuit. Charvet ne viendra pas seul, nous serons donc plusieurs pour les tours de garde. Organisez ça aussi. 

Le crayon de bois du Suisse glisse sur le papier, ne manquant aucune directive de sa patronne. 

- Popeye et Ginger, je veux un maximum d'informations sur les mouvements de chaque soldat allemand dans la ville jusqu'à dimanche. Nous devons être sur nos gardes, car les Boches le sont certainement. Je veux savoir où ils seront postés samedi, et s'ils prévoient de faire déplacer certaines garnisons ou non. Le plus ils seront occupés, le plus nous aurons le champ libre.Maintenant le point sensible : Chaplin et moi devons récupérer Charvet à la gare. Je n'approuve pas cette idée de voyager en train, trop facilement repérable, mais il se trouve qu'on ne m'a pas demandé mon avis. Si nous arrivons à franchir les postes allemands à la gare, nous le transférerons ensuite à la ferme, à bicyclette pour plus de discrétion. Le problème reste de sortir de la gare sans se faire contrôler.Son agacement est palpable. Une étincelle jaillit dans mon esprit et je l'interromps sans réfléchir : 

- Pourquoi ne pas créer nous-même une diversion ? Couper des câbles, créer un rassemblement, tout ce qui pourrait détourner l'attention des soldats, pour que Charvet passe les contrôles sans encombre ? 

Tous m'observent intensément. Je peux voir mon idée faire son chemin dans leurs esprits, chacun envisageant les différentes possibilités. C'est finalement Le Suisse qui s'exprime en premier : 

- Créer une diversion en plein milieu de la gare permettrait d'attirer l'attention de tout le monde, soldats compris, mais c'est très risqué pour ceux qui seront dans le feu de l'action. Il faudra réussir à se sortir de là. 

- De petits explosifs pour faire croire à des coups de feu ? suggère Chaplin.

- Trop risqué, les Boches risqueraient de barricader la gare pour trouver les coupables avant qu'on ait le temps de sortir. Ou pire, ils tirent dans le tas en espérant attraper leur cible. Il faut quelque chose qui ne leur mettent pas la puce à l'oreille, qui ne soit pas dans nos habitudes. 

Dans ma tête une idée se précise, et je leur expose ma façon de voir les choses. Alors que je termine ma présentation dans un souffle, André est prompt à réagir, posant ses mains bien à plat sur la table, soutenant nos regards : 

- J'en suis ! Quoiqu'il advienne ensuite, cela devrait être assez efficace pour permettre à Bellone, Chaplin, Charvet et les autres de quitter la gare s'en être importunés. C'est le plus important. 

Il plonge ses yeux dans les miens, et je lui souris franchement, heureuse de voir qu'il est prêt à s'embarquer avec moi dans cette idée un peu folle. Madeleine passe ses mains sur son visage, signe qu'elle n'apprécie pas du tout cette prise de position. 

- Je ne suis pas sûre que le jeu en vaille la chandelle, le risque est trop grand, qu'adviendra-t-il si vous êtes pris ? 

C'est à moi qu'elle s'adresse, et son inquiétude perce derrière son ton, en apparence ferme. Mais je ne me laisse pas toucher. Après tout elle m'a choisie pour le rendez-vous, et je veux me rendre aussi utile que possible. Je veux faire mes preuves. Je maintiens son regard, lui signifiant qu'il n'est pas utile de se préoccuper de ce qui arrivera si nous nous faisons arrêter. Nous en sommes tous parfaitement conscients.André et moi avons finalement rallié les autres à notre cause, et la discussion s'est prolongée jusque tard dans la soirée. Madeleine a voulu s'assurer que chaque détail, chaque tâche, était connu de tous. Dans les prochains jours, André et moi seront donc chargés de repérer les allées et venues des Boches à la gare, pour pouvoir mettre en place notre diversion de la façon la plus efficace. Le fait que je sois à l'origine de cette manœuvre est à la fois excitant, et totalement terrifiant. Si quelque chose se passait mal je serais directement responsable. Mais c'est ce que je voulais, plus de responsabilités, et j'entends bien les assumer. 

Je ne te connaissais pasHikayelerin yaşadığı yer. Şimdi keşfedin