Livre 2 - Chapitre 19

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Dimanche 24 novembre 1940


Cher journal,

Les nouvelles ne sont pas bonnes.

Les deux jeunes gens attrapés par les Boches lors de la manifestation du 11 ne sont pas revenus. Madeleine m'a appris qu'ils avaient été arrêtés, puis inscrits sur une liste de suspects à emprisonner en priorité. Elle dit que malgré tous leurs efforts ils n'ont pas réussi à obtenir une entrevue. Elle et ses amis supposent qu'ils ont déjà été envoyés en Allemagne, dans les camps de concentration nazis. Leurs familles n'ont aucune nouvelle. L'espoir de les revoir un jour est faible. Ils avaient tout juste vingt ans. Je ne sais ce qui se passe exactement dans ces camps allemands, mais beaucoup disent que la mort y est préférable. Quel malheur.

Pas une ligne n'a été écrite sur les évènements du 11 dans l'Ouest éclair, ni dans aucun autre journal d'ailleurs. C'est inconcevable. On apprend en revanche qu'une manifestation de bien plus grande ampleur a eu lieu sur la tombe du Soldat Inconnu à Paris. Peu d'éléments sont données sur l'issue de celle-ci, mais savoir que nous ne sommes pas seuls à nous battre me réchauffe le cœur.

Mercredi 27 novembre 1941

Cher journal,

Jeanne est venue me voir, cela faisait bien longtemps. Comme toujours elle est venue avec mes pâtisseries préférées, et nous avons papoté autour d'un thé. Je lui ai raconté à demi-mot les derniers évènements, et je n'ai pu m'empêcher de la voir froncer les sourcils lorsque j'ai évoqué le « sauvetage » d'André.

- Tu es courageuse Eugénie, mais fait attention à ne pas te faire enguirlander par un homme qui te verrais comme une petite chose fragile. Les hommes, et surtout les soldats, ont une fâcheuse tendance à oublier que c'est nous, les femmes, qui avons fait tourner le pays en leur absence. Et maintenant qu'ils sont de retour, ils voudraient que nous reprenions bien gentiment nos places à la maison.

- Jeanne..., je lui pris la main, ne sois pas si dure, ils se sont battus pour nous, et tous les hommes ne sont pas des monstres. Au contraire, certains pourraient même s'avérer sympathiques, si tu leurs donnais une chance.

Elle a haussé les épaules, visiblement peu convaincue par mon discours.

- Je n'ai pas besoin d'un homme, et je n'ai pas envie d'un homme. Je me débrouille très bien sans eux, et je ne peux m'empêcher de préférer les femmes, c'est ainsi.

Elle a plongé ses yeux au fond des miens, cherchant sans doute à me faire passer un message. Je mentirais si je disais que son allusion ne m'était pas apparue clairement.

Aimerait-elle les femmes ? Au sens amoureux ? Chaque amour mérite d'être respecté, toutefois je ne sais pas ce que cela signifie pour notre amitié, et je ne peux m'empêcher d'être un peu mal à l'aise à l'idée que je lui plaise. Cela pourrait-il expliquer les gestes qu'elle a eu envers moi et cette proximité entre nous ?

Je n'ai pas osé poser les questions, et Jeanne n'a pas insisté. Aborder ce sujet reste tabou, et aimer quelqu'un du même sexe que soit est extrêmement mal vu. Cela changera peut-être un jour, mais il est plus sûr pour elle qu'elle fasse profil bas, surtout avec les Boches autour de nous.

Dimanche 1er décembre 1940

Cher journal,

La température baisse, nous n'avons plus de charbon pour nous chauffer. La ville a fait découper les arbres du cours Caffarelli. Nous avons condamné le salon, la pièce est trop grande pour être chauffée, et le poêle est désormais inutile. Papa a été récupéré, discrètement, du bois dans les forêts alentours, et nous vivons quasi-exclusivement dans la cuisine. Nous aidons Maman à descendre le matin et l'installons tout prêt de la cuisinière dans son fauteuil à bras, pour qu'elle profite au maximum de la chaleur. Je reste avec elle, et reprise les quelques ouvrages que Madame Blanchard me transmet.

Je ne te connaissais pasDonde viven las historias. Descúbrelo ahora