Livre 2 - Chapitre 32

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Dimanche 15 mars 1942 


Cher journal, 

Un nouveau bombardement dans la nuit de lundi à mardi m'a réveillée en sursaut. Nous sommes désormais rompus à l'exercice : se réfugier dans l'abri que Papa a réaménagé au fond du jardin, attendre en priant, sortir et constater les dégâts. 

Cette fois ci heureusement nous n'avons pas eu de morts à déplorer. En revanche les pilotes de la R.A.F ont ciblé le quartier de Vaucelles, et c'est l'église qui a été touchée. Un symbole fort pour beaucoup. Moi je crois que si IL en avait réellement quelque chose à faire, ces évènements auraient cessé depuis bien longtemps. Je suis donc simplement soulagée que personne n'ai perdu la vie dans l'attaque. 

Je ne sais toujours pas quoi penser de ces bombardements. Les Anglais sont de notre côté, et les partisans de la France Libre, basés à Londres, ne cessent de nous l'affirmer. Le but de ces attaques est bien de toucher les bases allemandes, de couper leurs lignes de transports et de rendre leurs actions quotidiennes difficiles. Mais j'ai le sentiment que ce sont les civils qui payent les pots cassés. Lorsqu'ils ne périssent pas dans le bombardement en lui-même, les répressions appliquées par les Boches dans les jours qui suivent ne manquent pas de nous rappeler qu'ils sont toujours les maitres ici. Et cela a pour effet de retourner une partie de la population contre les Alliées, la France Libre, et même contre nous, petits résistants de quartiers. Nos propres actions, bien que moindre, entrainent souvent des sanctions sur la ville de Caen, et beaucoup de caennais se plaignent que notre lutte ininterrompue ne mène à rien, hormis causer plus de tracas aux habitants.

 Ainsi la semaine dernière, alors que Chaplin et les autres étaient en repérage au bord des rails de chemins de fer pour une action prévue dans les prochaines semaines, un homme qui promenait son chien a cru bon de prévenir des soldats à proximité que des « individus suspects » préparaient un mauvais coup. S'en est suivi une course poursuite à travers les rues de la ville, au dénouement heureux puisque les garçons sont parvenus à se planquer dans une remise abandonnée, le temps que les Boches se lassent de leurs recherches.Le lendemain un encart paraissait dans tous les journaux de Caen, appelant chaque habitant détenant des informations sur une action illégale à se rapprocher de la Kommandantur. Une récompense serait offerte à chaque personne se présentant avec des renseignements utiles.240Nous ne pouvons qu'espérer avoir été assez discrets, et que la solidarité entre caennais ne fléchira pas. Mais plus le temps passe et plus la question de la délation se pose. 

Dans des instants de colère et de frustration je maudis ces froussards qui vendent leurs prochains pour une piètre récompense nazie.Mais dans des instants de compassion je ne peux que comprendre, un peu, l'envie d'un retour à la normale, et d'une vie paisible pour ces pauvres gens qui subissent les sanctions pour des actes qu'ils n'ont pas commis. La peur et la lassitude sont des moteurs puissants. 


Dimanche 29 mars 1942 


Cher journal,

Après bien des négociations, j'ai finalement convaincu Jeanne de nous recevoir, moi et Nicole. Depuis des mois je me présente chaque semaine à la pension, espérant voir une amélioration dans l'état de mon amie. Au début elle refusait de me recevoir, et ce n'est pas l'horrible gardienne qui m'aurait laissée entrer par pure bonté de cœur. Mais le temps passant, elle a fini par réaliser que je n'irais nulle part, et que je n'aurais de cessede venir l'embêter jusqu'à ce qu'elle cède. Ce qu'elle a fait au début du mois de décembre, alors que je percevais sa toux dès la cage d'escalier. 

Je ne te connaissais pasWhere stories live. Discover now