Chapitre 62 : Les Portes Du Valhalla

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Ecrasé par un poids bien trop lourd à porter sur ses épaules, qui lui semblaient soudain bien frêle. Bâtard, soldat et guerrier, tous ses combats n'étaient que trop mince à contrario de celui qu'il était en train de mener. Son cœur battait de chagrin à chaque pulsation de sang dans ses veines. Son esprit était brouillé, embrumé et peinait à comprendre ou réaliser. Il avait perdu une femme qu'il aimait, et même des enfants. Mais la douleur qui le traversait en cet instant n'était guère comparable. Etait-ce égoïste ? Il l'ignorait. Il ne savait que certaines choses, que ses armes étaient restées au campement, que ses pas se posaient sur l'herbe humide du futur champ de bataille, que son souffle était glacé lorsqu'il touchait l'extérieur mais qu'à l'intérieur de son corps, il faisait tout aussi froid. Sihtric était partit démuni et reviendrait avec le cadavre de sa sœur bien aimée. "Le corps de la Skjaldmö, peut être porté jusqu'à votre camp par l'un de vos soldats, mais il devra être désarmé. Aucun mal ne lui sera fait." Tels avaient été les mots, tant redouté, du messager d'Anlaf. Car cela avait été dans un grand silence que tous avaient craint le moment où la mort de Daegan aurait été pleinement confirmée. Durant ce temps, Björn et Lagertha s'étaient réfugiés dans les bras de leur grand-père, et ils avaient attendu. Tout cela avec l'espoir que leur mère revienne de la colline. Or, cela n'avait pas été le cas. Et lorsque le messager d'Anlaf s'en était allé, malgré le volontariat d'Uhtred et de Finan, ce fut Sihtric qui s'imposa. Il désirait aller chercher sa petite sœur. La prendre dans ses bras. La ramener auprès des siens. Les fileuses avaient écrit cet instant depuis longtemps. C'était lui, et nul autre qui devait marcher jusqu'au cadavre de la première Femme Au Bouclier Saxonne. 

Malgré que le ciel semblait avoir pour mission de l'écraser sous ses épais nuages de tristesse, ce fut le dos, le menton levé et le regard digne que Sihtric traversa le campement ennemi. Tous s'étaient écartés sur son chemin, et avaient vu en lui ce que Daegan avait montré à son arrivée. La même fierté. La même absence de peur. L'un comme l'autre avait imposé le respect par son passage. Même lorsque le dernier guerrier loup recula d'un pas pour lui laisser libre chemin, dévoilant ainsi le corps sans vie de sa jeune sœur, le guerrier n'avait pas fléchit le genou. Bien que ce qu'il voyait n'était qu'horreur et souffrance pour son regard, il s'était montré fort. Baignant dans son propre sang encore frais, la fille d'Uhtred avait les paupières bien ouverte, mais le regard vide en direction du ciel. Dent-De-Loup embrochait encore sa chair. Et Anlaf se tenait là, et ne disait mot. Aucune parole ne furent échangées entre eux. 

Sihtric se contenta de s'accroupir et passer ses doigts sur les yeux de Daegan pour lui fermer, à tout jamais, le regard. Le bleu de ses yeux avait perdu de son intensité et s'était grisé. C'était un spectacle qu'il ne pouvait infliger à son neveu et à sa nièce. Sans être trop brusque, comme par peur de blesser davantage le cadavre de sa sœur, le guerrier la bascula légèrement sur le coté. Il put constater que Dent-De-Loup avait été enfoncée avec tant d'hardiesse, que la pointe de la lame ressortait de l'autre coté du corps de la femme. L'homme cacha son déglutit et empoigna le pommeau du fer. Lentement, ne voulant guère montrer ses tremblements, il retira l'épée de la chair, et plongea la lame tachée de sang frais dans son propre fourreau vide. Prenant une inspiration, il laissa le cadavre retrouver sa position initiale. Se relevant, Sihtric fit deux pas et ramassa le bouclier brisé de Daegan. Il l'accrocha à son dos, puis revint auprès de sa sœur. Délicatement, comme si elle était faite du plus fragile des verres, le guerrier prit la fille d'Uhtred dans le creux de ses bras. Et sans un mot ou un regard à l'ennemi, repartit auprès de son campement. On pouvait lui tirer une flèche dans le dos, abattre une hache sur son crâne, ou l'embrocher d'un poignard, Sihtric n'en avait cure. Car il portait le cadavre de la personne qu'il avait aimé plus que tout. 

*  *  *

Descendant difficilement la colline qui lui permettrait de rejoindre son campement où l'armée d'Uhtred patientait dans le deuil, Sihtric sentit sa dignité s'envoler lorsqu'il aperçu les premières tentes. Ses lèvres se mirent à trembler. Son nez à le piquer. Ses yeux à s'embuer. Et sa force le lâcher. L'homme s'appropriait tous les efforts du monde pour rester fort, pour ne point courber l'échine sous le chagrin mais en vain. Au bas de la butte, ses jambes devinrent molles et l'abandonnèrent. Sihtric s'écroula à genoux dans la boue, et se mit à baigner de chaude larmes le visage blême de Daegan. Il pleurait sans s'arrêter. Des spasmes lui secouaient les épaules avec une maussade énergie. 

The Last Kingdom: DaeganOnde histórias criam vida. Descubra agora