Livre 1 - Chapitre 1.

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19h01.

L'ambiance feutrée de la bibliothèque Sciences Politiques du 27 rue Saint Guillaume s'agite, alors que plusieurs étudiants terminent là leur après-midi studieuse. Les PC portables claquent, les sacs se ferment, et après plusieurs raclements de chaises, les lieux se vident progressivement.

Rendue invisible par la pile d'encyclopédies et de manuels amoncelés devant elle, Deborah n'a conscience ni de l'heure ni de l'endroit où elle se trouve. Ce papier sur lequel elle travaille est dû pour lundi, et elle doit encore peaufiner son analyse. Elle se tortille sur sa chaise pour trouver une position plus confortable, sent venir une crampe dans son poignet droit, et maudit pour la millième fois le chauffage vétuste de la bibliothèque qui fait perler des gouttes de sueur dans son cou.

« La transmission de l'information à travers les âges et ses impacts. ».

Un sujet simple en apparence, mais pour retracer cette évolution, depuis l'âge où l'on peignait les murs des grottes, à notre ère hyper connectée, Deborah aurait mieux fait de s'attaquer au sujet il y a deux mois.

Son téléphone émet un bruit sonore qui la sort un instant de sa lecture.

On n'avait pas dit 19h ?

Et merde !

Elle a complétement oublié qu'elle doit prendre un verre avec les filles ce soir. Elle jette un œil à sa montre, puis à sa tenue. Un jean distendu et un pull blanc qui, vu la chaleur à l'intérieur, ne doit pas sentir la rose.

Merde, merde, merde.

Je suis en route.

Honteux mensonge.

Elle relie les dernières phrases de son dossier sans grande conviction. Son analyse n'est pas très percutante, elle est bonne pour revenir passer la journée du lendemain à la B. U. Tant pis.

Elle range en vitesse ses affaires, et dépose bruyamment la pile d'ouvrages sélectionnés devant la bibliothécaire. Tandis que celle-ci scanne passivement les reliures, Deborah se recoiffe dans le plexiglas de l'accueil, attrapant ses mèches folles pour les relever en un chignon flou - très flou. Elle ramasse son sac, chancelle sous le poids des livres, et se hâte vers le Temple Bar, point de chute du groupe d'étudiant qu'elle fréquente.

Elle est en dernière année de Master Journalisme à Sciences Po Paris, et se prépare à passer le Grand Oral en mai prochain. D'ici là les cours sont progressivement mis en suspens, au profit d'un projet de longue durée.

Ce soir ils se retrouvent pour faire une pause. Les autres ont déjà tous avancé sur leur projet, leur stage, ou leur étude de terrain. Tous ultras motivés, prêts à rentrer dans la vie active, ils n'ont qu'une hâte : obtenir ce fichu diplôme pour enfin pouvoir passer aux choses sérieuses. De son côté, Deborah a mis en avant sa volonté de travailler sur un projet personnel, et son tuteur a accepté, à condition qu'elle lui propose une thématique d'ici la fin du mois.

Seule difficulté : elle n'a aucune idée de ce qu'elle souhaite présenter.

Elle a été tellement absorbée ces derniers temps. Il a d'abord fallu passer les examens de fin de semestre, et, en élève studieuse et appliquée, elle s'est plongée dans les révisions dès la mi-octobre. Ensuite les fêtes de fin d'années sont arrivées, et même si elle ne croule pas sous les invitations, le repas de Noël organisé par sa mère, et la soirée du nouvel an avec ses amies ont demandés un minimum d'organisation. Et puis, plus globalement, elle passe tellement de temps à se demander ce qu'elle fera après son diplôme, qu'elle en a occulté l'étape principale : obtenir ce diplôme !

Je ne te connaissais pasWhere stories live. Discover now