Ça doit faire plus d'une heure que je tourne en rond dans la chambre, ressassant encore et encore ce que les garçons m'ont racontés. Je n'arrive toujours pas à me faire à l'idée d'un autre monde, mélangé dans celui qui était le mien il y a moins d'une journée.
Je finis par aller sur la petite terrasse de la chambre, qui m'offre une magnifique vue sur la plage et les vagues. Assise au bord du transat, je regarde le paysage qui réussit à apaiser les questions dans ma tête.
Au bout d'un moment, je ressens la présence de quelqu'un derrière moi et je n'ai pas besoin de me tourner pour savoir de qui il s'agit.
- Comment vous pouvez être sûr que je suis bien une des vôtres, Damon ?
- Comment tu as su que c'était moi ?
- Réponds à ma question, demandé-je en le regardant, s'il-te-plaît.
Il paraît surpris, puis content. Son regard se perd un instant sur la mer en face de nous, et revient vers moi avec cette intensité qui me fait chavirer le cœur à chaque fois. Il s'approche et s'assied sur le bout de transat libre, à côté de moi, se calant contre le mur.
- Ta mère faisait partie de l'Ordre, tu es donc forcément des nôtres.
- Tout ça c'est dingue, dis-je doucement, l'Ordre, les Gardiens, le monde surnaturel. Je devrais vous prendre pour des fous, vous dire que tout cela n'est pas la vérité. Et pourtant une part de moi y croit, ou trouve ça tout simplement logique.
- Pourquoi tu y crois ?
Je soupire et baisse les yeux sur mes doigts entortillés. Je sens le regard de Damon peser sur moi, il est plus calme que tout à l'heure, presque apaisé. Le voir comme ça, donne envie de se confier.
- Je me suis toujours sentie différente des autres, comme si le monde autour de moi était fade. Sans couleur. Croire à tout ça serait un moyen de comprendre que ce n'est pas moi le problème, mais que c'est seulement le monde qui n'était pas fait pour moi.
- Et pourquoi tu n'y croirais pas ?
- Parce que c'est complètement fou.
Damon rigole doucement, déclenchant une envolée de papillons dans mon estomac. Je le regarde, surprise de le voir comme ça. Mais je ne peux m'empêcher de sourire à mon tour. Je me recule et cale mon dos contre le mur, juste à côté de lui.
- C'est vrai que c'est dingue quand on y pense, reprend-il, j'ai grandi dans ce monde et même encore maintenant j'arrive à être étonné par ce qui s'y trouve. Tu veux savoir pourquoi j'ai la certitude que tu es comme nous ?
Je le regarde, me sentant toute petite comparée à lui, puis hoche la tête, concentrant toute mon attention sur son visage. Damon me fixe, affichant un léger sourire au coin de ses lèvres alors que des bourdonnements surgissent dans ma tête.
J'ai l'impression que quelque chose tente par tous les moyens d'entrer dans mon esprit, abattant les murs que j'ai bâtis pour me protéger. Je lutte et c'en est presque douloureux. Le bourdonnement disparaît, Damon se tient à quelques centimètres de mes lèvres. Le regard assombrit, et essoufflé tout comme moi.
- J'en ai la certitude, reprend-il, parce qu'il n'y a qu'un Gardien pour m'empêcher d'entrer dans ta tête. Nous avons cette capacité de lire dans les esprits, c'est simple quand il s'agit d'un humain et un peu plus compliqué chez les créatures du monde surnaturel. Mais lire les pensées d'un Gardien est impossible, à moins que celui-ci nous en donne l'accès.
Je me rappelle de la première fois que j'ai ressenti ce bourdonnement dans mon esprit, je ne savais pas encore pourquoi ça me faisait ça. Mais à présent c'est clair, il a essayé de lire en moi, comme j'ai essayé de lire en lui.
Je souris, bêtement. Est-ce que ce serait ça la preuve que j'attends ? Je n'en sais rien, mais depuis qu'il a débarqué dans ma vie, j'ai l'impression de voir plus clairement le monde qui m'entoure.
Alors c'est ça le but de mon existence : les rencontrer et devenir une Gardienne ?
- Tu y crois maintenant ? me demande-t-il sans s'écarter.
- Je pense, oui. Même si tout me paraît étrange.
- Ce n'est qu'une question de jours, après tu te demanderas comment tu as fait pendant toutes ces années sans vivre dans ce monde.
Je me demande déjà comment j'ai fait pour ne pas vivre sans toi ! Cette pensée me traverse tout naturellement, et va se greffer au plus profond de mon être. Je me souviens de toutes ses fois où nous nous sommes croisés, ne s'échangeant qu'un regard, et il a fallu qu'une simple femme débarque dans ma vie pour que je puisse enfin savoir ce que ça fait d'être aussi près de lui.
Une femme ? Je me redresse en me souvenant de la raison pour laquelle je suis ici. Damon me regarde, plutôt inquiet.
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Vous avez parlé de l'Ordre et du monde surnaturel, mais pas de Nya. Pourquoi tu as voulu partir dès l'instant où j'ai prononcé son nom ?
Damon se pince les lèvres et soupire. L'alchimie entre nous est une nouvelle fois retombée, laissant quelque chose de beaucoup moins intime.
- Viens avec moi.
Damon me prend par la main et me guide à travers la maison vers une porte que je n'avais pas encore vue. Il l'ouvre, laissant apparaître un escalier où l'on peut entendre des bruits de coups. Je le regarde un instant, perplexe, mais descends avec lui découvrant alors une pièce que l'on ne trouve pas dans toutes les maisons.
C'est une immense salle, éclairée par des néons, où sont placés plusieurs machines de sport, une enceinte de combat, des armoires remplies de différentes armes allant du petit couteau jusqu'à la grosse arme à feu et un stand de tir.
J'aperçois Chris en train de soulever des poids sur une des machines et Matt taper sur un punching-ball.
Je regarde l'endroit avec de grands yeux. Qui aurait ce genre de d'installation chez lui ? Damon aperçoit mon air étonné.
- C'est une salle d'entrainement, me dit-il, c'est ici que l'on a appris à se battre et à utiliser des armes.
- Vous avez eu une formation ''spéciale Gardien'' ?
Damon rigole en m'entendant, il ne doit pas avoir l'habitude de faire découvrir ce monde-là à n'importe qui.
- On peut dire ça. On avait, en plus des cours normaux, des leçons avec notre grand-père. Ça pouvait être du combat, du tir ou tout simplement des leçons sur les différentes créatures.
- À quoi ça peut bien servir ? Votre rôle est de protéger, pas combattre.
- Notre rôle est de protéger le monde surnaturel et pour cela on doit être prêt à toutes les éventualités. Et si un jour on doit combattre une des créatures pour pouvoir sauver les humains, nous pourrons le faire.
- Alors on tue un vampire avec des pistolets maintenant ?
- Une balle dans la tête a toujours tué n'importe qui, même un vampire.
La porte de l'escalier s'ouvre et Dylan apparaît, il nous regarde Damon et moi et lance une serviette à son frère.
- Tu étais passé où ? demande-t-il.
- Voir si tout allait bien, répond Damon en rattrapant la serviette.
- Tu m'as posé un lapin, j'ai dû combattre Chris et c'était trop facile.
- Tu as fini par terre en deux minutes, rétorque Chris sans poser le poids qu'il soulève, c'était trop facile pour moi.
Je rigole quand Dylan lève les yeux au ciel. Damon semble un peu plus détendu, ou en tout cas c'est l'aspect qu'il donne.
- Je t'ai laissé gagner, réplique Dylan, je ne voulais pas que tu te casses un ongle.
- Mais oui bien sûr, on te croit tous Dylan.
- Tu veux essayer quelque chose ? me demande-t-il.
Je regarde la salle, sans trop d'assurance. Je n'ai jamais utilisé de machine de sport et encore moins tirée avec une arme à feu, mais Dylan semble vraiment enthousiaste à l'idée que je fasse quelque chose.
- En tant que future Gardienne, me dit-il sûr de lui, tu dois savoir te battre et utiliser un tas d'arme. Viens avec moi, je vais te faire tirer.
- Je ne pense pas que ce soit une bonne idée de commencer par ça, rétorque Damon.
- Moi, je crois que c'est un bon moyen de savoir si elle est douée.
Il me prend par les épaules et me conduit vers le stand de tir en prenant un pistolet posé sur l'un des ateliers. Je me retrouve devant le stand, pas certaine d'être capable d'appuyer sur la détente même s'il ne s'agit que de cible en papier.
Dylan se positionne à côté de moi et me montre comment me tenir, je retiens rapidement ce qu'il me dit et reproduis la position quand il me donne l'arme. Il se place derrière moi, rectifiant la position de mes jambes, puis passe ses bras au-dessus des miens pour m'aider à viser.
Le contact de sa peau contre la mienne me fait un drôle d'effet, électrisant ma peau.
- Tu poses ton doigt sur la gâchette, tu vises et tu tires quand tu te sens prête.
Il s'écarte de moi, m'offrant un espace suffisant pour que je puisse me concentrer. J'inspire profondément et expire. Mon index frôle à peine la gâchette, la balle part d'un seul coup. Je sursaute légèrement, surprise de l'effet que tirer me provoque.
La balle c'est logée en plein milieu du visage de la cible, je me retourne et vois le regard surpris de tous les garçons. Y compris Matt, qui a arrêté de s'entraîner pour me voir à l'œuvre.
- Sans déconner, rétorque-t-il, une pro de la gâchette ! Dis-moi que c'est un coup de chance, parce que là je suis jaloux.
- Pour être honnête, je visais son front.
- C'est déjà un bon début ! rétorque Dylan. Tu veux réessayer ?
- Je ne l'ai pas amené pour ça, intervient Damon, je voulais que tu lui racontes pour Nya. Histoire qu'elle sache à qui on a affaire.
- Pourquoi tu ne t'en charges pas ?
Damon me regarde rapidement, puis reporte son attention sur son frère.
- J'ai du boulot, on n'a pas encore trouvé la porte de l'Air, je ne voudrais pas que ça traîne éternellement.
Je ne sais pas comment prendre sa réponse, qui ne semble pas non plus convaincre Dylan. Mais il finit par acquiescer et me conduit en dehors de la salle d'entraînement, je lance un dernier regard vers Damon. Il m'observe comme s'il était indifférent, et c'est sûrement le cas.
Je dois me faire à l'idée que ce qui se passe entre nous n'est que le fruit de mon imagination, rien de plus.