- Il y a un problème !
J'ouvre les yeux mais je ne vois rien.
C'est vrai qu'ils ont coupé les lumières.
Je me redresse sur le lit. Les couvertures sont chaudes. Les draps sont doux. L'oreiller sent le savon. Il y a les livres sur l'étagère, les bougies alignées, la boîte à bijoux.
L'ombre de la commode projette une forme animale.
Je peux la toucher du bout des doigts.
Pendant une seconde,
le silence.
Et puis,
le hurlement.
Je saute du lit, me cogne contre la commode et cours jusqu'à la porte. Mes pieds s'emmêlent dans le tapis, je lâche un cri, renverse les bougies. Je déboule dans le couloir. Je me jette dans le salon.
Chris est là, devant moi.
J'ai mal au cœur.
Et puis, le hurlement.
Il m'agrippe par les épaules. Il me secoue.
- Il y a un problème !
- Oui, oui, oui !
TOC TOC TOC
Je pense.
"Sauve toi, pauvre conne"
L'appartement est plongé dans la pénombre. La lune rampe sur le plancher.
L'odeur de la soupe qu'on a mangé, celle du thé, de la Javel...
Et c'est comme si la main de Chris avait toujours été forgé dans la mienne.
On se fait facilement aux hurlements. Ce sont des murmures dans la nuit.
Les cris des sirènes ? Le ronronnement du frigidaire ? Le tic-tac de l'horloge ?
On s'endort sous les hurlements, on se réveille sous les hurlements.
Et on ne s'en rendait pas compte !
Elle frappe à ta porte.
Les coups redoublent de puissance. Les hurlements explosent dans des gerbes de sang.
Ce que les yeux ne voient pas, mes yeux l'imaginent.
Mon corps est en acier. Il ne fond pas. Il ne bouge pas. Il ne mord pas.
- Qu'est-ce qu'il se passe ?
Mes lèvres sont deux billets de 10$ recourbés.
- Tu as ouvert les fenêtres ?
- Non.
Les murs tremblent sous ses assauts.
Les gonds gémissent.
La porte hurle à la mort.
des cris, toujours plus de cris
Et ça m'apparait soudain avec clarté:
On est foutu.
- Ils sont entrés, c'est ça ?!
- Peut-être.
J'écoute mais je n'entends que mon cœur.
Qu'est-ce qu'il gueule !
- Qu'est-ce que... On doit faire quelque chose, non ? Qu'est-ce qu'on peut faire ? On peut...
Je gueule.
- Peut-être que quelqu'un a besoin d'aide ? On pourrait... ?
Je lâche prise. Il s'aggripe à moi.
J'ai des sueurs froides, la tête qui tourne, les yeux qui brillent.
- Tu t'es levé trop vite.
Chris ne s'est pas douché. Il sent Vanzetti.
Et la mort
aussi
- Retourne t'allonger. Je vais aller voir.
- C'est trop dangereux ! On...
- ... ne peut pas les laisser, enchaine Chris. Je vais voir ce que je peux faire.
Tu veux toujours bien faire ! Chris, le fils à maman. Chris, le petit préféré. Chris, le bébé ! Chris, est-ce que tu peux m'aider à faire mes devoirs ? Chris, est-ce que tu peux préparer le dîner ? Chris, est-ce que tu peux arrêter de respirer ? CHRIS CHRIS CHRIS
- S'ils ne sont pas trop bêtes, ils sont restés chez eux, je murmure. Reste ! Ça va passer.
- Ça ne passera pas, justement.
- Chris !
Ma voix claque comme un fouet. Je me pends à son bras.
- On ira voir demain !
- Demain, elle sera morte.
Chris se détourne mais je m'accroche.
- Demain, elle sera morte, il me répète.
Je murmure: " Alors, je viens avec toi, je viens avec toi, je viens avec toi, je viens avec toi"
Et je pense: "Il n'y en a plus pour longtemps. Gagne du temps. Gagne du temps. "
Et les cris continuent mais j'en ai entendu toute ma vie.
C'est comme une alarme incendie. Ça finira par s'éteindre.
- Tu refermeras la porte derrière moi et tu pousseras la table.
On a toujours le choix, n'est-ce pas ?
Les solutions et les réponses n'existent pas.
Il y a ce qu'on peut faire et ce qu'on ne peut pas faire.
Je pouvais le faire.
- Hélène ? Hélène, lâche moi.
Mes ongles ont déchiré le tissu.
Mes larmes en ont délavé la couleur.
Oui, j'imagine que j'aurais pu le faire.
- Hélène, tu me fais mal.
Je ne regrette RIEN
T'entends ça, Bianca ? Je ne regrette RIEN !
Un coup de feu me coupe le souffle et je lâche prise. Mes mains glissent, mes jambes flanchent.
Chris me repousse. Il se précipite.
- Non ! N'ouvre pas la porte !!
Le couloir l'avale.
La main tendue vers la porte, j'attends.
On ne revient pas du néant.
Un second coup de feu.
Qui tire ? Où ? Sur qui ?
Du noir, du noir partout.
Les cris, le cœur, la chaleur, les mains qui tremblent
Et Chris ?
Chris est dehors.
CHERCHE UN ABRI
CACHE TOI
CHERCHE UN ABRI
CACHE TOI
Chris est dehors !
J'ai tellement peur.J'ai tellement peur que...
On s'y habitue.
Pousse sur les jambes, croise les bras, ferme les yeux et sort.
C'est comme se jeter dans le vide.
C'est comme se jeter dans le vide
Le courage n'a rien à voir là-dedans.
J'ouvre les yeux et je suis dehors.
La porte claque dans mon dos.
Au troisième coup de feu, je respire encore.
Chris fait rempart.
Le silence
Chris s'écarte. Dans le couloir, nous sommes quatre.
Je tombe dans le vide.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ici ?
- Il est revenu.
- Qui ça ?
- Vanzetti.
Mano se laisse tomber contre le mur. Il est couvert de sueur.
Dans sa main, le canon du revolver fume encore.
- Il est là depuis hier, dit Chris.
- Oui ! Non... Je te dis qu'il est revenu... d'entre les morts.
- Je ne pense pas, non.
Chris me jette un coup d'œil. Il sourit car je suis sortie.
- Il... Il l'a...
Son regard revient vers la porte ouverte. Sur le seuil, il voit un bras.
Le cadavre de Vanzetti a été déplacé, mutilé. Trois plaies par balle. Il gît dans le couloir.
Chris s'approche du bras qui est relié à un corps. Et ce corps a des dents blanches.
Ô ma création, ô mon sourire
- Elle est morte.
Chris regarde Mano.
- Je n'y suis pour rien ! il hurle. Ils reviennent tous après avoir été mordu !! Elle aussi, elle va revenir !
- Et il l'a...
Chris regarde Vanzetti.
- C'est lui qui lui a fait ça alors ?
Il ne comprends pas. J'explique:
- Mano se fout de ta gueule. Bien sûr qu'il la... Qu'il la...
Je dégueule.
- Vous verrez !! Il l'a mordu !! Elle va revenir comme lui ! C'est ce qu'ils disent à la radio !
- La radio ? Tu as une radio ?
- Il faut l'attacher !
Mano se relève. Il veut entrer dans l'appartement. Il veut toucher la morte.
Il veut toujours quelque chose.
- Ça suffit.
Chris le retient.
Le chien face au requin
- Toi, me touche pas.
Mano brandit son revolver. Ses doigts tremblent sur la détente.
Je me relève. J'avance. J'enjambe.
Je serre les dents.
Je ferme le poing.
Et je frappe.
TOC
TOC
TOC