Depuis le début de toute cette merde, ils ne font que d'courir. Ils sont sans cesse épuisés, mais ils ne comptent pas abandonner, pas après tant d'efforts. Ils sont soudés comme les deux doigts de la main, un pilier mutuel. Sans lui, elle pourrait probablement survivre, certes. Mais sans lui, elle deviendrait probablement un monstre, elle n'aurait de pitié pour personne. Après toutes les horreurs qu'ils ont déjà vu, les salopards qu'ils ont déjà croisé, elle a compris qu'il n'y avait plus de place pour la naïveté et l'hésitation. Il fallait être impitoyable. Mais Rayan tente de l'en dissuader. Il affirme qu'il reste des gens biens et honnêtes dans ce monde. Il est la dernière part de son humanité. Le dernier rempart avant la folie. Si il vient à mourir, alors son humanité s'éteindra avec lui.
Cela doit faire environ un mois, peut-être deux - la notion du temps a une toute autre connotation aujourd'hui - , que le virus a contaminé le monde entier. Voilà donc maintenant de longues semaines que notre duo vit au jour le jour, sans jamais dormir deux fois au même endroit. L'une de ces quelques règles qu'ils se sont imposées et qu'ils espèrent judicieuses pour leur survie. Cette nuit là, ils la passent à la belle étoile, au milieu des arbres.
Aucun d'eux ne parvient à trouver le sommeil. On peut décrypter leur angoisse au simple travers de leur regard. Cette perpétuelle peur d'être surpris par une horde. Ou même par un groupe de survivants aux intentions malsaines. Rayan resserre son étreinte autour de sa soeur, qui est appuyée contre ses côtes, tous deux calés contre un tronc d'arbre. Les nuits sont toujours plus rudes.
« - Tant que j'serais en vie, rien ne t'arrivera, dit-il en serrant davantage sa sœur contre lui.
- Promis ? Demande-t-elle en se décalant légèrement pour le regarder, tu me laissera jamais ? Continue-t-elle en lui montrant la paume d'une de ses mains.
- C'est pourtant évident, réplique-t-il en lui tapant d'une des siennes. »
Ils échangent un rapide sourire et se replacent dans leur position initiale. Il sait que Riley a besoin d'être rassurée. Il sait la relation tordue qu'elle entretient avec l'abandon et la peur qui l'envahie à l'idée de le perdre, lui aussi. Mais elle n'a pas à s'en faire, il n'ira nul part. Pas sans elle. Quelques minutes s'écoulent, dans un lourd silence, à la fois angoissant mais, et heureusement, également quelque peu reposant. Un silence qui est finalement brisé par de légers bruissements de feuilles, des brindilles qui craquent, le tout étant rapidement accompagné du grognement caractéristique et incessant de ces choses.
« - Putain, ramasse tes affaires ! Magne toi, on décampe ! Chuchote Rayan en la forçant à se relever pour ramasser leurs affaires le plus rapidement possible. »
Par chance, et par habitude, rien n'est par terre. Tout est parfaitement rangé, pour pouvoir déguerpir au plus vite si un danger se dirige vers eux. Comme à ce moment précis. Leurs affaires sur le dos, ils partent en courant dans une direction choisie au hasard, à l'opposé de ce raffut provoqué par les rôdeurs. Ils sont obligés de courir pendant plusieurs heures, et Riley, dont l'endurance laisse sérieusement à désirer, n'en peut clairement plus.
« - Rayan, c'est bon, j'en peux plus, ça fait des heures qu'on court là, réplique Riley en s'arrêtant avant de poser ses mains sur ses genoux, la respiration saccadée.
- Encore un peu Riley... S't'plaît... Répond Rayan en regardant nerveusement tout autour de lui.
-Ok, mais on marche alors, dit-elle en se redressant, ils sont sûrement loin derrière nous maintenant. »
Il hoche la tête pour réponse et attend qu'elle le rattrape pour continuer à ses côtés. Mais après seulement quelques mètres, du bruit se fait à nouveau entendre. Ils regardent partout autour d'eux mais ne voient malheureusement rien à cause de l'obscurité. Riley sent les battements de son coeur accélérer davantage alors que la peur et la rage montent peu à peu en elle. Elle déteste lorsqu'ils se retrouvent ainsi, au milieu de nul part, ne voyant rien, mais entendant tout.
Puis d'un coup, un rôdeur sortant de nul part surprend Riley. Dans un sursaut et pour repousser le corps, elle laisse tomber son couteau par terre pour le retenir. Elle peine à tenir le rôdeur loin d'elle alors qu'il fait une bonne tête de plus qu'elle. Son frère attrape le rôdeur par les épaules avant d'accompagner le corps par terre, le maintenant au sol. Elle en profite pour récupérer son couteau et l'enfonce dans la tête ramollie du cadavre, avant d'aider son frère à se redresser.
Ils se prennent furtivement l'un contre l'autre, puis continuent leur route, toujours sur leurs gardes, très vigilants, prêts à se défendre de n'importe qui, de n'importe quoi. Ils passent la nuit et la journée suivante à marcher. Ils font une petite pause d'une dizaine de minutes toutes les quatre heures, et là, la brune n'en peut vraiment plus. Elle est épuisée et malgré son poids amaigri par le temps du au peu de provisions qu'ils ont, elle sent que ses jambes ne la porteront plus très longtemps.
« - C'est bon là, j'en peux vraiment plus, intervient Riley, épuisée, se retenant à un arbre pour ne pas s'écrouler par terre.
- Non, encore un peu, y'a quelque chose là-haut, rétorque-t-il en regardant au loin.
- T'es chiant sérieux.
- Allez, encore un petit effort, l'encourage-t-il.
- J'finirai par te tuer moi-même tu sais, dit-elle en reprenant sa marche, lâchant un long soupir de lassitude.
- J'aimerai bien voir ça. Toi, survivre sans moi pour surveiller tes arrières ?
- Mhh, après tout, j'peux t'laisser en vie, t'es pas si gênant qu'ca, réplique-t-elle en faisant tout de même mine d'y avoir réfléchi. »
Après quelques minutes, ils arrivent devant une petite cabane en bois défraichie. L'ainé veut ouvrir, mais sa cadette l'en empêche. Elle se met devant lui avant de frapper assez fortement contre le bois. Ils attendent quelques secondes à peine et une de ces choses se manifeste en fonçant droit dans la porte fermée. Rayan ouvre la porte alors que Riley entre pour abattre le rôdeur d'un coup de lame dans le crâne. Le corps tombe lourdement au sol, le blond le tire à l'extérieur et ils entrent dans le sombre cabanon.
Tous les deux le couteau en l'air, ils visitent avec discrétion et attention l'intérieur minimaliste après avoir refermé derrière eux. Rien de dangereux ne s'y trouve. N'ayant qu'un seul et unique accès, ils déplacent seulement la commode devant la porte.
Ils s'affalent ensuite sur le divan de la pièce principale et soufflent un bon coup. Cet endroit a l'air assez sécurisé malgré sa piteuse allure. Du moins, pour le moment il l'est. Quelques minutes plus tard, l'aîné fouille dans la poche de sa veste pour en sortir un paquet de cigarettes.
« - Pause clope ? Demande Rayan. »
Elle acquiesce vivement alors qu'il lui jette une cigarette avant d'en glisser une entre ses lèvres, les allumant avec enthousiasme. Ce n'est peut être pas la meilleure chose à faire, car l'endurance est devenue quelque chose de primordiale, de non-négligeable. Mais, c'est comme si ce doux poison avait un effet apaisant sur leur corps comme sur leur esprit. Après avoir fumé, les deux jeunes s'assoupissent rapidement et sans même s'en rendre compte, la tête de Riley se calant contre l'épaule de son aîné, dont la tête retombe sur celle de sa cadette.
Ce seront les premiers rayons lumineux du lendemain matin qui les réveilleront. Riley ouvre brusquement les yeux, soudainement de retour dans l'affreuse réalité. Elle regarde aussitôt son frère, toujours somnolant. L'une de ses plus grandes craintes est de se réveiller alors qu'il n'est plus là, alors qu'il a disparu. Elle le secoue sans délicatesse et ricane à ses grognements matinaux.
« - Wow, on a dormi toute la nuit, s'exclame-t-il, surpris.
- Mhmh, faut dire qu'il est super ce divan, répond t-elle en s'étirant.
- Ouai, c'est clair, même celui de mon premier appart était pas si confortable.
- Tu m'étonnes. »
Riley se lève et va chercher deux barres de céréales ainsi qu'une bouteille d'eau dans son sac. Elle tend l'une des deux barres à son frère avant de se réinstaller sur le divan incroyablement confortable pour déguster la sienne.
« - On reprend la route d'ici quelques heures, d'accord ? L'informe Rayan.
- Yes. Mais pour aller où ?
- Toujours plus loin. Comme on a dit.
- Mh mh, répond Riley en entamant son maigre déjeuner.
- Bon, j'vais essayer de chasser en attendant. J'en peux plus d'tes barres de céréales, dit-il en avalant sa dernière bouchée.
- Moi aussi. J'viens avec toi. Et c'est pas d'ma faute, c'est tout c'que j'ai trouvé j'te rappelle.
- Non, toi, tu restes ici. Faut que tu t'reposes, poursuit Rayan tout en vérifiant ses armes, déposant ensuite un baiser sur le front de sa soeur, commençant déjà à s'en aller.
- Comment ça, j'reste là ? Pourquoi ?
- Parce que c'est comme ça Riley, n'insiste pas. Repose toi.
- Ah, ok. Tu comptes pas revenir, c'est pour ça ? Enchaîne-t-elle sans même réfléchir.
- T'es sérieuse ? Tu penses vraiment ça ? Tu crois que j'serais capable de t'abandonner ? D'abandonner mon dernier repère ? Et bien non, j'ai juste besoin de me retrouver un peu seul, lui avoue-t-il, mais tiens, ça me donne une bonne raison d'revenir, rigole-t-il en lui lançant son paquet de clopes.
- Reviens vite.
- À tout à l'heure. »
Et il s'en va, la laissant seule. Elle se retrouve en plein milieu de la petite pièce principale, les bras ballants, les yeux dans le vague. Elle fait une petite moue puis décide de se fumer une seconde cigarette. Une bonne heure est passée et elle est toujours affalée sur le divan, l'appréciant apparemment beaucoup. Ça lui rappelle les nombreuses journées passées à ne rien faire, si c'n'est regarder des séries tout en grignotant, avachie dans son canapé, un joint au bec.
Tout est relativement calme depuis le départ de Rayan, quand un effroyable cri résonne depuis l'extérieur. Elle est sûre, et ce sans la moindre hésitation, d'avoir reconnu le cri d'une petite fille. Elle sort en trompe du cabanon pour regarder partout autour d'elle, jusqu'à apercevoir deux cadavres poursuivre quelqu'un. C'est bien une petite fille. Sans réfléchir, elle part en courant dans la même direction qu'eux. Elle peut en surprendre un par derrière, lui enfonçant sauvagement son couteau dans le crâne. Seulement lorsqu'elle veut récupérer son arme, celle-ci reste coincée et elle tombe en avant avec le corps.
« - Mais pétasse, lâche-moi, grogne-t-elle dans un murmure. »
Elle parvient enfin à se dégager. Elle se redresse pour examiner les alentours mais elle a perdu la fillette des yeux. Elle accélère davantage le pas, pour tout faire pour sauver cette gamine inconnue. Au bout de quelques longues minutes, elle retrouve enfin la petite fille du regard et court jusqu'à elle. Elle voit la fillette trébucher et tomber à terre. Elle voit cette dernière se retourner, regardant de ses petits yeux terrorisés la chose qui s'approche dangereusement et elle se met de nouveau à hurler tout en serrant fortement son doudou dans ses bras.
Par chance, la brune arrive à temps et peut se charger de la dernière chose des environs avant qu'il n'arrive malheur à l'enfant. La petite a toujours les yeux clos, elle est terrifiée et Riley le voit très bien. Elle s'approche doucement d'elle et lui caresse délicatement le bras gauche.
« - Eh, ça va petite? Demande Riley en exerçant une légère pression sur le bras de la fillette, regarde moi, j'suis pas un monstre, continue-t-elle avec une pointe d'humour, la jeune fille lève la tête avant de regarder Riley. Il va falloir que tu viennes avec moi d'accord ? Avec tous ces hurlements, tu dois sûrement en avoir rameuté plus que deux.
-Ma mère m'a toujours dit de ne pas suivre les inconnus...
- Je le sais, j'm'en doute bien. Mais, écoute moi. Tu penses vraiment que j'aurai risqué ma vie pour te sauver et qu'ensuite, j'te ferai du mal ?
- Non, répond innocemment et naïvement l'enfant, pourtant hésitante.
- Voilà, alors, tu vas venir avec moi, d'accord ? Demande-t-elle, la fillette hochant doucement la tête pour réponse, j'm'appelle Riley, Riley Drake.
- Et moi Sophia, Sophia Pelletier. »