Projet 66

By ChamoisPolaire

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66 jours, 66 premiers chapitres. Autour de 30 minutes d'écriture. Thème imposé : romantasy. Toute ressemblanc... More

Jour 1 : Hélène
Jour 2 : Miranda
Jour 3 : le marin
Jour 4 : Lt Peatter
Jour 5 : Quartendroit
Jour 6 : Lilith
Jour 7 : les vieux de la vieille
Jour 8 : la servante
Jour 9 : un dragon
Jour 10 : Féérie
Jour 11 : le devin
Jour 12 : mauvais plan
Jour 13 : Matthieu
Jour 14 : en soutien
Jour 15 : le chevalier
Jour 16 : Miss Van Helsing
Jour 17 : l'exploratrice
Jour 18 : manoeuvre de Heimlich
Jour 19 : pizza, inconnu, chapeau
Jour 20 : au crépuscule
Jour 21 : une école de magie
Jour 22 : Melian
Jour 23 : Le train
Jour 24 : un curé, un soir
Jour 25 : le prince Constant
Jour 26 : Roommates
Jour 27 : Fake boyfriend à la sauce elfique
Jour 28 : Ne t'écarte pas du droit chemin
Jour 29 : Baldur's Gate 3
Jour 30 : le blessé
Jour 31 : La prophétie
Jour 33 : Joséphine
Jour 34 : Quinze ans plus tôt
Jour 35 : Le Boeuf Musqué
Jour 36 : Les Dieux s'amusent
Jour 37 : Je repeindrai tes contremarches
Jour 38 : Tournoi
Jour 39 : Jour de neige
Jour 40 : Interruption
Day 41 : Damned
Jour 42 : Mice & Mystics
Jour 43 : Amnésie (again)
Jour 44 : Il ne manquait plus que lui
Jour 45 : Bûcher
Jour 46 : Fumée
Jour 47 : Ambition
Jour 48 : Lumière dans les profondeurs
Jour 49 : Malédiction
Jour 50 : la proie
Jour 51 : Beverly de Trope City (ou les vétérinaires à l'hôpital)
Jour 52 : Émile
Jour 53 : Capitaine Brianna - La Murène - Peregrine
Jour 54 : Proximité forcée
Jour 55 : Coeur de Diamant
Jour 56 : Saint Valentin
Jour 57 : L'historien
Jour 58 : Le sarcophage
Jour 59 : Loin d'Égypte
Jour 60 : L'armoire magique
Jour 61 : Le bain (L'Élu #1)
Jour 62 : Jeanne et Gilles (L'Élu #2)
Jour 63 : Balle Sanglante (L'Élu #3)
Jour 64 : Ah ben bravo, Victor
Jour 65 : De Ténèbres Très Obscures et de Sang Caillé
Jour 66 : Enfin lui

Jour 32 : l'esclave

13 2 20
By ChamoisPolaire

(21/01/2024)


— Un d'ici, papa ! Un d'ici !

Les rues d'Arausio bruissent d'activité, comme chaque fois que le grand marché s'organise sur le forum. Des marchands sont venus de tout l'Empire pour y proposer leurs produits, du plus simple au plus exotique, et la ville provinciale se métamorphose soudain en bourg agité.

Presque comme à Rome, songe Lucius qui, à dix-neuf ans, trouve le temps long.

À côté des tapis, des oiseaux colorés, des poteries, des épées effilées, des épices rares et des bijoux dorés, on expose des esclaves de tous types. Même s'il est toujours possible de se fournir en dehors des périodes de marché, en fonction des arrivages chez les négociants ordinaires, c'est l'occasion pour bien des familles modestes et plus aisées de renflouer leur main d'oeuvre servile de quelques spécimens choisis.

La maison Mecenia n'en a guère besoin, mais Marcus Tiberius dorlote sa cadette, Lucilla, et ne lui résiste jamais. Pour fêter l'ouverture du marché, il lui a promis un cadeau de son choix, et parmi toutes les merveilles étalées sous leurs yeux, elle a choisi un esclave.


— Nous en avons déjà bien assez, a protesté Lucius. Chacun d'entre eux coûte cher en grain, en étoffe !

La moue boudeuse de sa soeur, treize ans, gâtée et colérique, lui a indiqué qu'il aurait mieux fait de se taire.

— Nous en revendrons une paire, a tranché Marcus, une main apaisante sur l'épaule de la gamine.

Celle-ci lui a renvoyé un sourire radieux, de ceux qui le rendent immensément heureux depuis le décès de son épouse, Nepia, trois ans plus tôt.

Lucius ne peut pas lutter, il n'est ni femme, ni conçu sur le même moule. Ses traits hérités de son géniteur en font plutôt un rival mal venu. Alors il s'est tu.


À présent, résigné, il accompagne son père et sa soeur parmi les échoppes, les yeux attirés par bien des trésors qui ne franchiront par leurs portes. Il n'a pas les moyens et pas l'appui, il ne peut que suivre.

Lucilla a désigné une tente rouge et noire, adossée aux thermes. Le vexillum qui jouxte l'entrée annonce qu'on y vend des Gaulois. Un sanglier et un coq y sont peints grossièrement.

— Ce sont des barbares, marmonne Lucius, mais personne ne l'écoute.

— Ils ont des cheveux d'or ! explique Lucilla à leur père.

Neleos arrête le chariot sans qu'on le lui ait ordonné, déjà l'adolescente a sauté à terre. Lucius hésite un instant à demeurer en arrière, bavarder un moment de son île lointaine avec leur cocher asservi, mais un regard de Marcus suffit à le faire descendre. Dans le sillage enthousiaste de Lucilla, il repousse le pan de toile et pénètre dans l'atmosphère suffocante de la tente.

L'odeur et la chaleur sont épouvantables, mais Lucilla y semble imperméable. Elle bondit entre les poteaux, les corps offerts et les acheteurs sans y prêter attention. Marcus la suit tant bien que mal. Lucius ne fait pas d'effort : les lieux, leur agencement, la petite foule rassemblée, justifieront son retard en cas de remarque. Au pire, il subira les verges, mais si Lucilla est satisfaite, Marcus n'y songera plus au retour à la villa.

— Ils le font exprès, lui glisse une voix, près de son épaule.

Un homme d'âge moyen, taillé comme un ours, et vêtu d'un tablier de cuir, lui adresse un sourire malin.

— Pour l'odeur. Ils le font exprès. Ils pissent et ils chient comme des bêtes, pour décourager l'acheteur et mettre le patron en rage.

Lucius grimace devant tant de vulgarité.

— Ce n'est pas très malin de leur part, remarque-t-il. Trouver un maître parmi les citoyens est préférable à bien des destins.

Le rustre crache par terre.

— Ils s'en fichent. Ils n'ont peur de rien.

— Vous ne semblez pas désireux de vanter la qualité de votre marchandise.

L'homme hausse les épaules.

— Les arènes nous les prennent par lots. Ça rapporte moins, mais ça provoque aussi moins d'ennuis. Pas de mauvaises surprises, pas de plaintes. Ils savent ce qu'ils reçoivent : des bêtes. Tout le monde repart satisfait.

Lucius fronce les sourcils.

— Pourquoi les exposer, alors ?

— Parce qu'on ne sait jamais. Parfois, on tombe sur un patricien qui a la poigne pour en mâter un, ou des besoins de loisirs personnels. Puis il y a les femelles. Je suppose que c'est ce que vous êtes venu chercher.

Le jeune homme secoue la tête.

— Je ne cherche rien. C'est ma soeur...

Il scrute la tente des yeux, mais Lucilla est bien trop petite pour qu'il puisse la repérer.

— Sans doute une servante, oui.

L'homme vêtu de cuir acquiesce d'un air entendu.

— Vous voulez en voir un vraiment spécial ?

Lucius jette un nouveau regard circulaire autour de lui, mais distinguer une tête noire parmi toutes ces têtes noires tient de l'impossible.

— Pourquoi pas ? Qu'est-ce qu'il a de particulier ?

— Là où on l'a capturé, les gens disaient que c'est le fils d'un dieu.

Lucius sent sa curiosité frétiller. Quand l'homme se met en mouvement, il le suit.

— Le fils d'un dieu ? Rien que ça ?

— Une de leurs divinités sauvages et malfaisantes, vous savez. Difformes et bestiales.

Ils se faufilent entre plusieurs clients qui discutent des formes d'une jeune fille nue, les poings liés à un mât. Lucius s'excuse en les bousculant et débouche dans un espace découvert, entre la tente et le mur des thermes. Soudain, une seconde, il craint de s'être fourvoyé. Et si cet employé servile était un détrousseur, qui l'avait attiré à l'écart pour lui trancher la gorge et lui voler sa bourse ?

Mais l'inquiétude reflue. Ils ne sont pas seuls dans ce semblant de cours balisé de palissades en toile. Des esclaves rangent du matériel, des cageots de nourriture s'empilent, des ballots de paille, des tonneaux d'eau de la rivière voisine. Deux grands chariots cages, aussi, une paire de boeufs. L'intendance du commerce ambulant. L'air y est plus pur et Lucius, un instant, respire, avant de rejoindre son hôte.

Celui-ci s'est immobilisé devant une grande caisse couverte d'une toile de jute. À leur approche, un cliquetis retentit, un mouvement. Quelqu'un est terré sous l'étoffe, et le marchand le dévoile d'un geste d'habitué.

La cage ne lui permet pas de se tenir debout. Nu, assis, il est enchaîné aux poignets et chevilles, porte un lourd collier de fer autour de la gorge, dont la chaîne sort entre les barreaux jusqu'à un anneau fiché dans une grosse pierre, à quelques mètres. Lucius s'accroupit pour l'observer.

Hormis ses yeux d'un vert saisissant, il ne paie pas de mine. Peut-être est-ce sa position qui empêche d'apprécier sa taille et sa musculature. Il ressemble à un jeune homme ordinaire, les traits fins habités de l'habituel mélange de peur et de colère qui sied aux esclaves fraîchement capturés. Celui-là n'a pas été dressé, cela semble manifeste. Ou peut-être a-t-il résisté à toutes les tentatives de le mâter.

— Ça ? Le fils d'un dieu ? s'étonne Lucius en riant. À quoi le devine-t-on ? À son odeur de bouc ?

Le marchand le dévisage, un sourire large sur les traits.

— Il a des bourgeons de cornes sur la tête.

— De cornes ?

— C'est le fils de leur dieu cerf. Et on peut le constater.

Lucius se redresse et rit, poings sur les hanches. Le crâne de l'esclave est couvert d'une chevelure bouclée, emmêlée, dont la couleur véritable est indéterminable sous la saleté. S'il y a des cornes là-dessous, elles sont invisibles.

— Vous ne me croyez pas, s'exclama le ruffian, nullement surpris.

— Vous m'estimez plus crédule que je ne le suis !

— Vous allez voir.

L'homme se penche sur la cage.

— Approche ta tête ! aboie-t-il, en cognant contre les barreaux du poing.

Dans le fond de la cage, le captif se terre, sans la moindre intention d'obtempérer.

— Indocile, remarque Lucius d'un ton moqueur.

— Une petite merde arrogante. Il fera moins le malin dans l'arène.

Un instant, la vision du jeune homme farouche debout dans le sable s'impose à Lucius. Il ne sait pas s'il trouve cette perspective alléchante ou terrible.

Le rustre a saisi la chaîne et commencé à tirer. Malgré la traction sur son cou, le prisonnier résiste et s'arcboute. Lucius se demande s'il va se briser la nuque, à force de se cambrer. Il use de ses talons pour freiner le mouvement, mais privé de ses mains, liées dans son dos, il ne peut lutter très longtemps.

Au moment où il cède, son crâne vient frapper la cage avec un son mat qui fait frémir le patricien.

— Grouillez-vous, lui ordonne le marchand, les jointures blanchies, serrées sur les maillons.

La chevelure du Gaulois s'échappe entre les barreaux, là où sa tête est tirée contre le fer. Lucius s'agenouille et passe les doigts dans ses boucles. Elles sont légèrement humides et il devine que dans sa violence, le marchand a blessé son demi-dieu récalcitrant.

Celui-ci lutte toujours, sa respiration siffle, ses lèvres serrées libèrent un grognement furieux. Lucius évite son regard meurtrier, lui tâte le crâne et trouve, enfin, ce qu'on lui a décrit.

Deux excroissances, rondes, de part et d'autre du sommet de sa tête, encore menues mais indéniables. Les cornes à venir. La surprise le fige un instant, puis il les palpe encore, fasciné. À quelques pouces de sa poitrine, de l'autre côté des barreaux, le Gaulois l'insulte dans sa langue barbare.

— Je veux celui-là !

La voix de Lucilla surprend Lucius qui s'écarte vivement, et le marchand se redresse en libérant l'esclave. Celui-ci se rencogne dans le fond de sa cage, mais le dernier regard qu'il échange avec le patricien est empli d'une haine si dévorante que celui-ci, un instant, ressent une peur viscérale, telle qu'il n'en a jamais connue.

Sa soeur et son père les ont désormais rejoints, et l'adolescente s'est accroupie.

— Je le veux, je le veux, je le veux ! trépigne-t-elle.

— Père, annonce Lucius d'une voix altérée. C'est une mauvaise idée. Il n'est pas dressé, il est dangereux. Nous n'avons pas l'usage d'un jeune mâle et pas les moyens d'en faire un élément utile de la maisonnée.

Ces paroles inutiles sont sorties d'elles-mêmes, sans qu'il puisse les retenir, il s'apprête déjà à affronter les remontrances paternelles, mais lorsqu'il relève les yeux, il a la surprise de lire, dans le regard de Marcus, une forme d'épouvante.

— Il est déjà vendu, de toute façon, n'est-ce pas ? déclare alors le chef de famille, en se tournant vers le marchand.

Celui-ci échange un bref regard avec Lucius, avec son père, puis opine rapidement.

— Oui, désolée, mademoiselle, mais il n'est plus à vendre. Je le montrais à votre frère par pure... heu...

— J'étais curieux de voir les prochains combattants de l'arène. Pour me faire une idée.

Marcus acquiesce dans un soupir satisfait, mais Lucilla ne l'entend pas de cette oreille. La scène qu'elle entame alors force les Mecenia à quitter la tente gauloise par une sortie latérale, directement dans la rue, pour éviter d'attirer l'attention de leurs estimés voisins.

Avant de quitter les lieux, Lucius ne peut s'empêcher de jeter un regard en arrière. Dans la pénombre de sa cage, le visage strié par le sang qui lui dégouline du crâne, le fils de Cernunnos le dévisage avec une morgue meurtrière qui le fait frissonner.


La soirée chez les Mecenia s'avère épouvantable, la nuit guère plus agréable. Lucilla est furibarde et le fait savoir à tout le monde, vociférant, brisant des objets, frappant les esclaves, déchirant ses vêtements. Lucius se replie rapidement dans sa chambre où il essaie de dormir, en vain. Même quand les hurlements de sa cadette se muent en sanglots, puis en reniflements, il ne parvient pas à s'endormir. Il revoit ce visage, ces yeux verts lumineux, sent le velouté des bourgeons de cornes – de bois – sous la pulpe de ses doigts, la promesse d'une merveille, dangereuse et fascinante, un demi-dieu captif, qui aurait pu lui appartenir, si seulement il n'avait pas eu peur, s'il avait appuyé sa soeur, il aurait trouvé les arguments, convaincu son père. Ils ont des chaînes, des cellules, il parviendrait à le mâter, à l'apprivoiser, à le plier à un usage, dans leur domaine, comme bien d'autres avant lui.

Mais il est trop tard.

Et ses songes indistincts dérivent. Vers l'arène, le sable, les combats et le sang. Il voit l'esclave gaulois lutter avec sauvagerie, mais tomber. Encore et encore. Gerbes écarlates, viscères étalées, des yeux verts, magnifiques, révulsés.

Il ne peut pas être un demi-dieu. Un demi-dieu ne se laisserait pas capturer, enchaîner, maltraiter de la sorte. Enfermer dans une cage mi-fer, mi-bois. Cela n'a pas de sens. C'est juste un gamin gaulois difforme, rien d'autre. Pas de quoi en perdre le sommeil.

Et pourtant.


Quand Marcus le convoque à l'aube, Lucius peine à émerger, prisonnier de visions douloureuses.

— Va me le chercher. Lucilla le veut. Nous nous débrouillerons. J'embaucherai Clavius, il a l'expérience des esclaves compliqués. Au pire, nous le couperons, s'il reste ingérable. Elle finira par se lasser.

Discours décousu d'un homme qui a peu dormi, là aussi. Lucius ne proteste pas, fait atteler le chariot, et repart pour le marché.

Il gagne la tente encore enténébrée, la traverse, débarque dans la cour où on commence seulement les préparatifs de la journée. Il n'a pas besoin d'aller bien loin pour réaliser que les esclaves sont moins nombreux que la veille. Il n'en reste en fait presque plus. Le marchand vient à sa rencontre, surpris de le revoir.

— Le demi-dieu ? demande-t-il à mi-voix.

L'homme secoua la tête.

— Les arènes l'ont pris, comme prévu. Très excités, qu'ils étaient, de pouvoir l'acquérir. Ce n'est pas tous les jours qu'on vous propose un demi-dieu.

Lucius acquiesce sans plus vraiment ni le voir, ni l'écouter. Il est arrivé trop tard. Racheter un esclave aux arènes est hors de sa portée : Gaïus Nolus aura tout de suite vu la valeur de celui-là et ne le lâchera pas.

— Je comprends.

Il repart sans un mot, à la fois effrayé, soulagé et vide. Sur le chemin du retour, il effectue cependant un détour jusqu'aux arènes pour se renseigner sur les prochains combats et le moment où les nouvelles acquisitions seront alignées. Maigre consolation, mais consolation tout de même, et il s'en retourne affronter la colère de Lucilla.

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