Jour 12 : mauvais plan

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(01/01/24)

Pas beaucoup dormi, moi...

Quand je m'éveille, la première chose qui me frappe, c'est l'odeur répugnante. Mes paupières collent, je me sens vaseuse comme après une bonne cuite, une nausée immédiate me retourne l'estomac... mais je ne bouge pas. Je devine, d'emblée, que je ne suis pas dans mon lit, pas dans ma chambre, le fruit d'une nuit trop arrosée, bordel, encore, je suis putain d'irrécupérable, la haine.

Mais bon, c'était le Nouvel An, aussi, et Marc m'avait larguée deux jours plus tôt, et Antoine s'est déclaré à Julia, et Charlotte avait un plan glauque avec d'anciennes copines de la fac, quelque part sur la rive nord.

Mes bonnes excuses.

Les draps sont glacés, rien à voir avec ma couette, et la puanteur de cet endroit inconnu s'immisce au plus profond de moi, dans chacune des alvéoles de mes poumons meurtris. Vomi, transpiration, autre chose. Je ne veux pas savoir.

J'entends une voix qui fredonne, quelque part sur la gauche. Dans un film de saison, le parfum du bacon, du café, d'un muffin aux myrtilles encore chaud, viendrait m'inciter à émerger. Là, j'espère juste que l'intrus va aller prendre une douche – je suis sûre qu'il en a bien bien besoin – pour me laisser prendre la tangente.

Je n'ai aucun souvenir clair de la fin de soirée. Jusqu'à minuit, ça va. Jusqu'à une heure, plus ou moins. Ensuite, rien. Je pourrais prétendre que ce genre de choses ne m'arrive jamais, mais ce serait me mentir. J'essaie d'éviter, parfois je finis par croire mes propres absurdités.

Mon horoscope m'a promis un 2024 plein de surprises. Ça commence sur les chapeaux de roue. J'espère qu'au moins, il a une bonne tête, ou un joli sourire, ou alors de l'humour. Quelque chose de positif dans cette situation de merde.

J'ouvre un oeil. La pièce est plongée dans le noir, à l'exception d'une multitude de bougies qui couvrent le dessus des armoires et de la cheminée, le centre d'une table, des chandeliers à l'ancienne.

Je retiens un gloussement. C'est quoi ce décor romantique à deux balles ? Je cherche le clignotement de l'alarme incendie au plafond, mais je n'y découvre qu'un lustre éteint, au milieu de moulures complexes. Ce qui est clair, c'est que le propriétaire des lieux n'a pas de goût pour la modernité ou pour la sécurité basique.

En remuant le moins possible, je le cherche du regard. Il est debout, devant un bureau, nu jusqu'à la taille. Grand, les épaules larges mais la taille fine, les cheveux bouclés, trop longs à mon goût. D'instinct, vu le cadre, vu le pantalon de toile rayée, je devine que je me suis acoquinée avec un petit « de », un comte de machin-chose, un nobliau venu se dévergonder dans les bouges de la capitale.

Peut-être poli. Peut-être pervers.

Je ne reconnais pas ce qu'il fredonne, bien sûr. Je ne connais rien à la musique classique.

— Tu es réveillée.

Il se retourne, me décoche un sourire tranquille. Beau garçon, la voix grave. Un peu jeune pour moi, début de vingtaine je dirais. Je ne me rappelle pas l'avoir rencontré, aucune idée de son nom, rien rien rien ne me revient. Quelque part, je suis flattée qu'un mec dans son genre ait jeté son dévolu sur moi. Vu le fric, vu le minois, il ne doit pas manquer de choix. Ou alors... Quel est le piège ?

Je lui adresse un geste de la main incertain, salutations timides adaptée à un matin foireux.

— C'était gentil de ta part, en tout cas, ajoute-t-il.

Gentil ? Mais qu'est-ce que j'ai fait, au juste ?

— C'est rien.

— Pour moi c'était beaucoup.

Merde. J'aurais... ouvert certaines portes à un jeune gars innocent ? Vraiment ?

— L'odeur est supportable ? demande-t-il avec une petite grimace.

Ah. Il est conscient que son refuge empeste. Je ne sais pas si c'est un bon point pour lui.

— Ça va s'atténuer progressivement. C'est un effet secondaire classique, je ne peux pas y faire grand-chose. Comme la fatigue, la nausée... Pas très différent d'une gueule de bois, de ce que j'en sais.

J'aurais pris quelque chose d'illicite ? Un champi, une pilule, la bouffée du truc qu'il ne faut pas ? Voilà qui est moins mon genre... mais peut-être était-ce une de ces foutues mauvaises bonnes résolutions ?

Il s'approche du lit d'un pas chaloupé, comme un fauve, s'assied sur le bord. Son allure juvénile contraste avec son attitude. Il a l'air... vachement sûr de lui. Sa main se lève et s'approche de mon visage, je reste immobile, contrôlant à grand-peine l'envie de bondir et de me carapater. Mais la curiosité l'emporte. D'autant que je ne sais pas où sont mes vêtements et qu'il me semble utile de les localiser avant d'entamer ma retraite.Il repose les doigts dans son giron avant de m'avoir touchée.

— J'aimerais te revoir. Si tu t'en sens l'envie. La force. Même contrat qu'hier. Un an de moins contre un an de moins.

Il sourit de sa boutade mais je ne comprends absolument pas de quoi il retourne.

— Ah. Tu as perdu la mémoire, remarque-t-il d'un ton chagrin.

Un pli se forme entre ses yeux, un V qui lui donne presque une seconde paire de sourcils.

— Cela arrive plus rarement. Mais vu la qualité de nos échanges... 

Il ravale un soupir. Je maudis mon moi d'hier qui a accepté la proposition de ce type, aussi mignon soit-il.

— Je suis Vincent. Nous nous sommes rencontrés pendant la nuit. Nous avons conclu... une transaction. Pas ce que tu imagines. Enfin si, d'une certaine manière. Mais peut-être que... je devrais tout te raconter depuis le début. Cela va te revenir, bien sûr, comme les odeurs, comme l'énergie... mais c'est sans doute mieux que tu saches... avant...

Je sens que je vais détester cette histoire. Je la déteste déjà. Je voudrais lui aboyer dessus, sur ce con, qui a profité de mon état déplorable pour me faire accepter je ne sais quoi. Mais je ne sais pas ce qu'il s'est passé. Et même si c'est seulement sa version, autant l'entendre, elle me ramènera peut-être des bribes, mes bribes, qui me permettront de tout débrouiller.

Je me redresse, il se frotte le front du bout des doigts.

— Un café ?

Je secoue la tête. Il acquiesce.

— Tout a commencé au Chat Noir, sur la Huitième... Tu te souviens du gars qui faisait des tours de magie ? 

Projet 66Where stories live. Discover now