Jour 2 : Miranda

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(22/12/23)

Miranda avait choisi les bottes les plus sonores de sa collection et à présent qu'elle remontait les couloirs du château en tapant du pied, elle écoutait avec satisfaction le tintamarre furieux de leurs talons martyrisant le sol. Même le tapis déroulé dans la grande galerie ne parvenait pas étouffer leur symphonie, le marbre renvoyait leur écho, les miroirs tremblaient. Les serviteurs, eux, se garaient sur son passage dans un claquement de portes plus ou moins discret.

Elle tempêta dans l'escalier, traversa le hall, s'engagea dans le couloir aux étendards, frappant le damier noir et blanc du dallage au rythme de sa fureur. Elle sourit, sans joie, lorsque les deux gardes qui flanquaient la porte se ratatinèrent autour de leurs lances. Elle choisit sa proie, le plus jeune, à droite, et darda un regard meurtrier dans ses prunelles humides. Il serra les lèvres sur un glapissement de terreur et lui ouvrit vivement le battant qu'il était censé protéger, l'introduisant dans la salle du conseil.

Autour de la carte du royaume, peinte à même le bois d'une table gigantesque, une douzaine d'hommes étaient penchés, en plein conciliabule. L'intrusion de la jeune femme força l'interruption et les têtes se levèrent. Miranda constata que plus d'un vieillard pâlissait, que le jeune comte de Bruss se repliait dans l'ombre de son père, que le général Tybert fronçait un sourcil inquiet.

— Père, je dois vous parler, tonna-t-elle. Maintenant.

Poings sur les hanches, elle marqua la fin de son discours d'un coup de talon supplémentaire, dont le choc sec se réverbéra sur la voûte.

— Miranda, ma chérie, ce n'est guère le moment...

Le roi lui adressa un sourire crispé, peut-être las, mais elle lisait déjà la résignation dans la courbe de ses épaules et la lueur de ses iris gris. Jamais il n'avait pu lui résister.

— MAINTENANT !

Les nobles, militaires et éminences grises, se carapatèrent sans demander leur reste, en une commotion désordonnée. Seul le général Tybert demeura en arrière, arrogant, magnifique, le buste droit dans son pourpoint noir et argenté. Miranda frémit sous son regard malicieux puis reporta son attention sur son père. Elle ne pouvait pas se laisser impressionner par ce soldat prétentieux, qui se targuait d'assister au conciliabule entre un père et sa fille.

— Letizia m'a parlé de la lettre, gronda-t-elle. De la demande des Vents-Sauvages. Tu ne peux pas y donner suite ! Pas question ! Jamais !

— Miranda, ce traité...

— Ce traité a exactement mille six cents treize ans ! Il a été honoré pendant huit siècles, puis partiellement ensuite, et seuls quelques points restent d'application aujourd'hui. L'hériter Vent-Sauvage n'a plus exigé la main d'une princesse valienne depuis un millénaire ! Un millénaire ! Pourquoi maintenant ? Je REFUSE d'épouser un... un barbare au nom d'un vieux parchemin dont plus personne ne se souvient !

— Miranda...

— Je refuse, tu m'entends ! Je vais seconder Brian quand il te succède, comme nous l'avions prévu ! Je vais continuer à apprendre, m'entraîner, travailler dur, d'ici là...

Tybert s'éclaircit la gorge. La jeune femme refusa de le regarder, certaine qu'elle lirait le reflet d'un amusement cruel sur son visage aux traits acérés.

— Les Vents-Sauvages sont des alliés ancestraux des Valiens, reprit le roi. Leur appui, leur soutien, nous sont indispensables. Le traité promet l'aînée des filles de Valia à leur héritier. Le fait qu'ils n'en aient plus fait la demande depuis... mille ans... ne nous exempte pas d'honorer cette promesse aujourd'hui.

— Père !

— Je suis désolé, Miranda. Je sais que ce n'est pas ce que tu avais en tête, mais nous ne pouvons pas nous souscrire à cet arrangement. Ils sont garants de la front–

— JE SAIS DE QUOI ILS SONT GARANTS ! Père ! Je suis versée en ces sujets, davantage que la plupart de vos conseillers !

— Et voilà pourquoi tu seras un atout des plus critiques, en intégrant leur famille royale !

La jeune femme poussa un cri de colère, plongeant les doigts dans son épaisse chevelure paille, qu'elle fit mine d'arracher.

Son père et son manque d'imagination.

Sans rien ajouter à ce dialogue de sourds, elle fit volte-face et quitta la pièce, du même pas furibard qui l'avait guidée jusque-là.

— Miranda !

Elle claqua la porte sur son géniteur et s'éloigna sans se retourner. Elle avait des alliés dans ce château, des fidèles, elle devait les trouver, les informer de ce projet scandaleux et formuler un plan. 

Jamais elle n'épouserait ce bouseux.

Jamais.

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