Jour 16 : Miss Van Helsing

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(05/01/24)

Ma besogne accomplie, je m'étais repliée dans la salle de bain pour nettoyer mon matériel. Derrière moi, dans la chambre, régnait un capharnaüm épouvantable, vestige de la lutte acharnée qu'avait livrée l'héritier avant de succomber à mes coups. Au petit matin, le corps se serait volatilisé et il ne resterait plus que les débris de notre lutte, pour attester de la violence qui avait déferlé dans la pièce. On le chercherait, bien sûr. On présumerait qu'il avait été enlevé. Nulle demande de rançon ne surviendrait, pourtant. Nulle trace. Sa disparition soudaine ferait jaser les magazines, l'objet d'une émission de télé, peut-être de quelques podcasts. Nous ne serions que quelques-uns à savoir ce qu'il avait vraiment été - un monstre - et ce qu'il était advenu de lui.

Satisfaite de mon entretien, je quittai la pièce, éteignant la lumière, et traversai la chambre jusqu'au balcon. Je ne pouvais pas prendre le risque d'être vue dans les parages, aussi avais-je l'intention de descendre jusqu'au deuxième, pour rattraper la réception via le buffet. Formalité. J'équipai mes crampons, pris une agréable bouffée d'air frais, puis entamai mon périple.

Certains gagnent leur vie en cuisinant des pizzas, d'autres en enseignant le calcul à des marmots, en arrachant des dents ou réparant des tuyaux, en gérant des comptes en banque ou cultivant des roses. Tant mieux pour eux tous, chacun sa voie. Je tue des monstres pour gagner ma vie, depuis près de dix ans. J'ai fauché mon premier zombie quand j'en avais seize, mon premier vampire lors de mon bal de prom, et mon premier loup garou en tournant la vingtaine. Je ne les compte plus, c'est la routine. Une balle par ici, un pieu, une fiole d'eau bénite, parfois un fer à repasser ou une pelle. Je pourrais raconter des histoires sur la manière dont j'ai trouvé ma vocation mais ce serait du blabla. C'est une affaire de famille depuis des générations, descendants que nous sommes d'une branche mineure des Van Helsing. Mon goût pour le massacre a d'ailleurs bien arrangé mon frère aîné qui n'a aucun talent pour ce genre de choses mais un don pour la promotion, le networking et l'optimisation fiscale qui a aussi son intérêt.

Arrivée sur la terrasse qui jouxtait le buffet, je lissai ma robe, rangeai mon attirail dans mon sac griffé puis retournai, l'air de rien, prendre un verre de champagne. On me sourit, on m'adressa des signes de tête. Je ne connaissais absolument personne dans ce rassemblement de richards mais si on m'interrogeait, j'avais une couverture à déballer. Je m'adossai à un mur pour envoyer un texto anodin à mon père.

Une soirée magnifique !

Mission accomplie, en somme. Un petit incube répugnant de moins. Ils sont rares mais dangereux, plus que leurs femelles. Leurs appétits charnels peuvent pousser leurs conquêtes au suicide en moins de trois semaines. Celui-ci dissimulait bien ses traces, mais même chez les escortes, les pertes en série font tache.

Envie d'un petit voyage ?

Même pas de félicitations, sympa le paternel. Voilà ce qu'on gagne à être éternellement fiable. Le voyage renvoie à la vermine vampirique, pas aux Bahamas.

Envoie le lien.

La flûte à la main, je me dirigeai vers le grand escalier, soudain pressée de quitter cet environnement clinquant pour retourner à ma traque. Même si je me coule dans les identités nécessaires à mon travail, je préfère de loin les émotions brutes de la chasse, les rushs d'adrénaline, les pulsations d'un coeur fou. Je traversai le vaste hall à contre-courant de certains convives qui venaient seulement d'arriver. Une fois à l'extérieur, je me cherchai un coin tranquille pour rouvrir la messagerie, bouffée par l'impatience de découvrir ma nouvelle proie. Le téléchargement prit quelques minutes, sur le réseau pourri du centre ville de Rivka. Trois dossiers. Le premier contenait plusieurs fichiers textes, le second des photos. Dans le dernier, un court film. Le monstre en mouvement.

Il s'agissait d'une jeune femme, mince et pâle, qui jouait du violoncelle au cœur d'un grand orchestre. La video, floue et tremblante, restait fixée sur elle, pendant plusieurs minutes, sans qu'elle fasse rien d'étrange.

Je refermai le fichier, ouvris l'ordre de mission.

Anastasia Markhov. Vampire d'au moins 300 ans. Violoncelliste dans l'Orchestre Symphonique de Prague.

Il me fallait rentrer à l'hôtel, réserver une place dans un avion.

Je me mis aussitôt en route, à pied, fébrile.

J'arrive, songeai-je. J'arrive pour te percer le coeur, Anastasia.

Projet 66Where stories live. Discover now