Jour 55 : Coeur de Diamant

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(13/02/2024)

Le onzième jour de Grimlach, le mois des Tourmalines, la princesse Drusilla atteignit l'âge de trente-cinq ans sans avoir trouvé de promis. Sans doute contrainte par un père de moins en moins patient, elle annonça alors publiquement qu'elle épouserait le premier nain qui lui rapporterait un diamant bleu de la taille d'une noix.

Des hérauts circulèrent de cité en cité, dans les couloirs et les galeries, pour colporter la nouvelle et la placarder sur les murs des places, des tavernes et des temples. Les esprits s'enflammèrent. Drusilla avait parlé de lui rapporter le diamant et non de l'extraire, aussi, rapidement, des récompenses extravagantes furent-elles proposées à celui qui ramènerait la pierre précieuse au Comte de ceci, au Duc de cela et à trente-six autres prétendants qui n'avaient pas envie de se casser les doigts sur un manche de pioche mais avaient les moyens de se payer des petites mains.

Parmi les gens du peuple, mineurs, ouvriers, artisans, l'idée d'une ascension fulgurante jusqu'au sommet du royaume faisait rêver et glousser tout à la fois. On murmurait que jamais les nobles ne permettraient qu'un roturier s'introduise dans la famille royale, que l'heureux élu, s'il devait venir d'une des castes inférieures, serait certainement assassiné ou envoyé en exil sous un prétexte fallacieux. D'autres disaient que Drusilla avait un caractère épouvantable et que c'était la raison pour laquelle elle demeurait célibataire, qu'il faudrait être fou ou désespéré pour lier son existence à une mégère de cette envergure. On renchérissait tout en espérant secrètement décrocher la lune. 

Ou du moins, c'était ce que s'imaginait Greta.

Avec sa famille, elle exploitait un petit filon d'argent dans les profondeurs de Gorsbenarck, la ville aux mille miroirs. Quatre galeries, quelques chariots, un travail honnête et difficile. Plus d'une fois, son père avait proposé de lui trouver un mari chez un des voisins, arguant que ce n'était pas là travail de femme, mais Greta n'en voyait pas l'intérêt. Elle aimait la roche, le claquement du métal, les masques de poussière, les courbatures d'une bonne journée, la camaraderie brouillonne qu'elle partageait avec ses frères, lorsqu'ils trimaient dans la pénombre. Et quand elle voyait leurs épouses, Frieda, Hedwige, Aislin, entourées de marmots, les mains dans les épluchures ou l'eau de lessive, elle ne les enviait pas, mais alors là pas du tout.

Drusilla attendait son fiancé depuis déjà trois semaines, sans succès, lorsqu'un petit matin, alors qu'elle brisait des fragments de minerai d'un geste précis, Greta découvrit, au coeur de ses filins d'argent, une masse plus grosse, inégale, aux reflets bleutés. Elle frappa la gangue de pierre d'un, deux, trois coups supplémentaires et vit apparaître, au creux de sa paume, un diamant brut, bleu, de la taille d'un bel oeuf de poule.

Stupéfaite, Greta resta en arrêt devant sa découverte. Elle voulut appeler mais le cri se bloqua dans sa gorge. Elle avait trouvé la clé du palais, le joyau qui menait à la chambre de la princesse. Elle songea à ses deux jeunes frères, Kufik et Berholt, encore célibataires. Le premier était timide, curieux, un peu trouillard, toujours prêt à aider sa mère, dont il était le préféré. Le second était plus désordonné, plus enthousiaste, un peu follet, comme le sont souvent les petits derniers. Comment allait-elle choisir à qui l'offrir ? Lequel des deux deviendrait prince, peut-être roi, un jour, aux côtés de l'impressionnante Drusilla ?

Choix impossible.

Peut-être fallait-il simplement vendre la pierre, et récolter par là suffisamment d'argent pour réparer la maison, acheter de l'étoffe, des remèdes, de la viande fraîche, un nouveau lit pour les grands-parents.

Mais épouser la princesse ne signifiait-il pas gagner le pouvoir de mettre toute la famille en sécurité, à tout jamais ? Un instant, Greta imagina son père voûté, enfin tranquille, assis au coin d'un feu avec une pipe, une chope de bière, la liberté si rare de se reposer.

Des pas s'approchaient et elle glissa vivement le diamant brut dans la poche de son tablier de cuir. Une chose était certaine : si quiconque l'apprenait, toute la famille serait au courant en un clin d'oeil, et la décision ne lui appartiendrait plus. Bernd et Leobald, imbus de leur droit d'ainesse, s'imposeraient et lui retireraient son trésor.

Non, il fallait qu'elle réfléchisse. En trois semaines, personne ne s'était encore manifesté avec des prétentions crédibles. Elle avait bien le droit à une nuit de répit, pour trouver la solution.

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