Chapitre 17 : Loctus Aenias

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Régenté par la loi du plus fort, le territoire Drënien changeait couramment de mains. En ce jour, la seigneuresse actuelle de la nation se nommait Loctus Aenias.

Cloîtrée dans son bureau, Loctus s'affairait dans une perpétuelle routine importune. Le tumulte du port atteignait la fenêtre, localisée à l'est de la pièce. Fort heureusement, les relents de la ville gagnaient à peine la fortification, située en altitude. Cette grâce ne suscitait pas pourtant l'intérêt de cette citoyenne de vingt-huit ans, accoutumée aux odeurs pestilentielles de sa terre natale.

S'éterniser dans une besogne rebutante l'insupportait, mais la Drënienne se devait de la remplir, de peur d'être à nouveau submergée d'une panoplie de paperasses inachevées. Ses efforts, en vue de terminer la missive en cours, étaient mis à rude épreuve. Un jeu loufoque, à coups de canon, se déroulait en contrebas de la forteresse.

Le vacillement constant de son meuble demeurait léger, mais suffisant pour que chaque essai d'écriture risque de tacher le parchemin d'encre noire. Les nerfs de la rousse s'agitaient en même temps que l'oscillation se poursuivait. Jusqu'au moment tant redouté.

— Par la barbe de Black Wall ! s'irrita la pirate, son poing percutant violemment le bureau.

À la suite d'un énième tir de canon, de l'encre s'était échappée de l'extrémité de la plume d'oie, s'éparpillant sur le support telle une éclaboussure de sang. La lettre, au terme de son écriture, devint irrécupérable.

D'une levée brusque qui culbuta son fauteuil à la renverse, la jeune femme s'éloigna du bureau, sa longue tresse en épi de blé se balançant à son dos. Son galbe revêtait une chemise crème défraîchie, par-dessous un corset à lacets, et un pantalon moulant noir. Le tout parachevé d'un long manteau sombre.

D'un pas décidé, ses bottes noires la conduisirent près du rebord de la fenêtre, aux vantaux entrouverts.

Les échos d'une algarade, au sujet du meilleur tir qui départagerait les concurrents, parvinrent à ses oreilles.

Loctus se planta au cadre de l'ouverture et récupéra l'un des deux pistolets à silex, croisés au-devant de sa large ceinture en cuir. Sans vergogne, elle tirailla en l'air et engendra aussitôt un silence total du côté des malfrats.

— C'est pas fini ce boucan ? Bande d'écrevisses de rempart ! Ne m'obligez pas à venir décider à votre place ! beugla-t-elle, emportée par son tempérament explosif.

— D... Désolé, Cap'taine ! claironnèrent ces derniers d'une voix apeurée.

Le jeu de tirs estompé, Loctus rangea son arme à sa ceinture. Un sabre, à la poignée richement ornementée, restait fixé à sa hanche droite.

Malgré son statut de seigneuresse de Drën-Warnoff, endossée depuis deux ans, les Drëniens la considéraient toujours comme l'illustre capitaine du Maelström. Un titre honoraire qui convenait aisément à sa propriétaire.

Tout à coup, une personne toqua à la porte. Sans attendre de réponse, l'individu fit irruption dans la pièce. Un homme mûr d'une soixantaine d'années se dressa devant elle, vêtu de manière élégante, mais non extravagante. Le bourgeois, originaire de Phaelys et à la physionomie conviviale, servait la seigneurie Drënienne depuis des années.

— Encore une missive altérée, Milady ?

Loctus se retourna vers son conseiller personnel. Ses prunelles écarlates étaient tout autant enivrantes que destructrices, comme une goutte de poison déversée dans un verre de rhum. Son visage allongé couturé n'entravait pas sa joliesse. Loin d'être dépourvue de féminité, les natifs de Black Wall la décrivaient comme un être aussi barbare et rustre que n'importe quel homme de cette nation.

Crisis - T1 : La quête des Héritiers [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant