Chapitre 6 : Le rescapé venu d'ailleurs

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Forêt de Zarif, 12 : 00

À vive allure, les adolescentes louvoyaient à travers la forêt pour atteindre Noa. Leur corps surhumain leur permettait de parcourir de longues distances, en zones arides, et de se hausser en altitude tels des félins. Le duo s'enfonçait ainsi dans le biome, accourant aux échos d'un cœur battant à tout rompre.

En un temps record, elles parvinrent à destination, à peine essoufflées. Le demi-jour les accueillait en ce lieu boisé, ombragé par le feuillu verdoyant des arbres. Les rais solaires s'infiltraient dans la clairière et illuminaient sa végétation d'une couleur anis. Le silence était si lourd, que les battements d'ailes d'un moucheron se confondaient aux propulsions des hélices d'un aéronef en approche.

S'ajoutait l'apparition d'une sangre qui, attirée par l'odeur alléchante du sang frais, venait à leur suite ; ce ver annélide ‒ semblable aux sangsues et dont la taille atteignait celle d'une table basse ‒ circulait avec aisance entre les Warloïtes. Durant sa lancée, son corps dépourvu de soie effleurait leur genou, leur emboîtant le pas.

Le regard complice des fillettes confirma leurs appréhensions.

« Ce n'est pas bon signe ! ».

Khé-Khé jeta un coup d'œil avisé aux alentours. Ses yeux ronds et saillants balayaient l'endroit garni d'arbres. Tout à coup, son attention s'accentua sur un gabarit svelte adossé contre un arbuste.

— Là-bas, indiqua-t-elle en désignant la direction d'un geste de la tête.

Nakoyi considéra la zone indiquée à l'est. À pas de loup, les deux gagnèrent un buisson d'indigotier pour épier le malheureux. Les faisceaux lumineux, faufilés en dessous de la toiture végétalisée, parvenaient à esquisser un jeune homme installé de manière négligé sur la verdure, ses membres couverts de contusions. L'un de ses bras prenait appui sur sa jambe fléchie tandis que l'autre reposait lourdement au sol, d'où gisait son pistolet à silex.

Ses vêtements avachis le désignaient comme un pirate. L'individu âgé de vingt-cinq ans, au teint beige, ne s'était douté de la présence des Héritières. Les paupières closes, son visage égratigné pointait vers le ciel, pendant que son pouls tambourinait dans ses tempes.

L'Allevardien relâcha un souffle réfréné puis redressa la tête, mais la vue qui s'offrait à lui le laissa stoïque. Deux fillettes lui faisaient face. Khé-Khé était accroupie tandis que Nakoyi se tenait derrière elle. Dire qu'il fut surpris de les voir à ses côtés était un euphémisme.

— AAAH !

Un cri sorti tout droit d'un film d'horreur s'échappa de ses cordes vocales, son cœur prêt à sortir de sa cage thoracique.

Des vertiges le saisirent. Des taches lumineuses brouillaient son champ visuel et l'empêchaient, en conséquence, de mieux percevoir les nouvelles venues.

— Par le souffle de Black Wall ! haleta-t-il d'une voix tremblotante, sa main cramponnée contre sa poitrine. Qu-Qui... Qui êtes-vous ? D'où vous sortez ?

Le pirate ne leur laissa pas le temps d'émettre le moindre son. Submergé par la panique, il crut comprendre la situation.

— Ça y est, je vois des fantômes, maintenant ! Je suis au bord de la folie. Je... Je sens le Crisis m'envahir. Hmph ! Ça me ronge de l'intérieur. Je vais mourir ! Je vais mourir !... Ou suis-je déjà mort ?

Durant sa folie hystérique, Khé-Khé effectua un examen rapide de son état : transpiration, bouffée de chaleur, palpitations, souffle coupé, gêne thoracique, rythme cardiaque élevé, hallucinations, apparition du Crisis au niveau du cou. Ces symptômes, parmi tant d'autres, confirmaient ses spéculations antérieures.

Nakoyi orienta son visage vers la naturopathe, sollicitant son avis. Celle-ci, toujours accroupie, lui répondit d'un signe négatif de la tête. La jeune cheffe retint son rire lorsqu'elle lut dans les prunelles de son amie. Ce regard rébarbatif qui stipulait « Il ne va pas mourir, il est juste taré ! ».

Ce langage était devenu apparent parmi la bande d'Héritiers, si bien qu'un simple échange visuel leur suffisait pour communiquer. Et ce, en dépit de l'obstacle voilant le faciès de l'Ezikwe.

Les fillettes dévisageaient l'étranger, originaire de Black Wall, à l'apogée de ses divagations.

— Quel est votre nom ? lui demanda Nakoyi d'un ton calme.

— Hein ? Euh, je... je m'appelle... J'ai oublié ! lâcha-t-il, désemparé.

— Pas de panique, tout va bien, rassura aussitôt Khé-Khé, comme un médecin calmant son patient.

— Mais je... j'ai du mal à respirer...

— Ça s'appelle « être essoufflé », précisa-t-elle. Vous faites une crise de panique.

Aussitôt dit, elle récupéra une fiole ceinturée à sa taille. Le flacon, au contenu imperceptible, était recouvert d'une feuille de capucine jusqu'à son bord. L'adolescente ôta son bouchon et tendit la petite bouteille de verre au rescapé.

— Tenez, buvez ça !

— ...

— Allez !

La fiole tenue dans sa main, le pirate tentait maintes fois d'appréhender le volume sombre et inodore, par-delà l'ouverture exiguë. Hélas, ses yeux étourdis ne cessaient de le trahir.

— Qu'est-ce... Qu'est-ce que c'est ?

— Buvez et vous saurez !

Résigné, il s'exécuta. À peine le liquide gluant au goût âcre effleura son palais qu'il voulut aussitôt le recracher. Cependant, la pichenette infligée par la naturopathe au niveau de sa pomme d'Adam, l'incita, malgré lui, à l'ingurgiter. Une quinte de toux s'ensuivit.

— Hé ! Qu'est-ce qui t'a pris ? Kof ! Kof ! geignit l'Allevardien en réprimant un haut-le-cœur.

Khé-Khé haussa tout bonnement les épaules.

— Désolé, mais je m'attendais à ta réaction.

Le jeune homme se racla la gorge, en massant son cou.

— Mmph... C'était fort tout de même.

— Croyez-moi, elle a été aussi douce que possible, plaisanta Nakoyi.

L'Ezikwe faisait allusion à l'événement épique subi par Hazo.

Le long soupir las de la Zérynthia démontrait qu'ellen'avait pas fini d'en entendre parler. 

Crisis - T1 : La quête des Héritiers [Terminé]Where stories live. Discover now