Chapitre 14 : Une douloureuse séparation

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Le soleil, qui déployait ses derniers rayons au milieu du bosquet, annonçait le grand départ en vue du territoire du Sud. Khé-Khé tout comme Hazo avaient conscience de l'enjeu de ce voyage. Leur venue signifierait peut-être un espoir pour les Drëniens, mais surtout, elle permettrait un pas de plus vers leur objectif principal. Une lourde épreuve attendait ces Héritiers.

La bande, répartie en deux groupes – le trio de voyageurs et le duo restant – se faisait face. Hazo transportait le sac de provisions sur son dos. Khé-Khé trimbalait une sacoche besace de couleur café, à l'aide d'une bandoulière en toile entourée autour de son épaule gauche ; la bourse était équipée d'une variété de plantes médicinales, en plus de quelques potions d'Eluchior en cas d'urgence.

Avant l'ultime séparation déchirante, un élément primordial devait avoir lieu : le discours de l'Ezikwe à l'égard du binôme.

Nakoyi s'évertuait à tempérer son rythme cardiaque qui battait à tout rompre. Elle s'attrapait le poignet afin de modérer, un tant soit peu, ses tremblotements. Elle était anxieuse en raison de son inexpérience dans son rôle honorifique. Tout ce qui la plaçait au centre de l'attention l'intimidait inexorablement et renforçait sa nervosité. À son plus grand regret, sa fonction exigeait des responsabilités qui sous-entendaient s'exposer devant une assemblée spectaculaire.

Elle savait que ses deux amis ne lui en voudraient pas de ne point pouvoir leur adresser ses dernières paroles, malgré l'importance manifeste que celles-ci exerçaient sur leur moral. Néanmoins, Nakoyi voulut impérativement accomplir cette tâche. Réconforter ses guerriers faisait partie du rôle majeur d'un Ezikwe.

Les paupières closes par-dessous son masque, la jeune cheffe renouvela une respiration constante dans le but de reprendre le contrôle de son corps, devant un auditoire tenu au silence. Elle expira longuement, se promettant de toujours outrepasser ses peurs, sa timidité, tout obstacle par amour pour ses amis.

Néhémia observait avec attention ce moment emblématique appartenant aux anciennes légendes. Son souffle sembla se couper à l'instant où la Warloïte se décida enfin à monologuer.

— Excusez-moi si... En fait, je... je...

Nakoyi inspira à nouveau puis reprit avec sincérité, d'une voix vacillante :

— Je suis désolée de vous faire prendre un tel risque ! Depuis le début de ce nouveau cycle et de notre arrivée sur Zarif, tout va de travers. Et... j'ai honte de devoir vous diriger vers des terres inconnues, s'attrista-t-elle en baissant la tête, les épaules cambrées de remords. Je... Je n'ai pas pu vous éloigner du danger.

Les autres adolescents, accablés, comprirent l'allusion aux actions tragiques de Chaka, qui avaient causé le décès de leur défunt compagnon Sheik.

Peinée de la voir davantage dans un état aussi affligé, Nalora s'apprêtait à prendre des mesures. Elle fut subitement freinée dans son élan par la main levée de l'Héritier Alpha, en signe de refus.

Nakoyi s'arracha à ces souvenirs lancinants, se redressa lentement pour une posture droite.

— Mais c'est parce que j'ai appris à vous connaître, que je suis convaincue que vous pourrez y arriver. J'ai confiance en vous, plus qu'en moi-même. Alors, peu importe le temps que cette mission prendra, ne vous pressez pas. Restez toujours ensemble ! Vos vies resteront bien plus précieuses pour moi que la réussite de la mission.

S'ils venaient à faillir, la fillette ne les blâmerait aucunement. Les revoir sains et saufs serait sa victoire.

— Et surtout... persista-t-elle d'une voix brisée par le chagrin, revenez à moi ! Ma plus belle récompense serait... snif !... de vous revoir de retour à la maison... Häna !

                                                                                                                             « S'il vous plaît !»

Aucun mot ne franchit les lèvres du duo à la fin du soliloque de l'Ezikwe, qui leur était spécialement destiné.

Hazo détourna le regard sur le côté tandis qu'il se mordait vivement la lèvre, pour empêcher ses yeux humides de déverser des larmes imminentes. Khé-Khé ne daigna riposter alors que des cascades de liquides salés dévalaient ses joues. En dépit de ses tentatives de les essuyer du revers de ses mains, ses efforts restaient vains.

Tous deux s'attelèrent à répondre à leur cheffe, tant bien que mal, au travers de leur voix étranglée.

— Kalak... Ezikwe ! accompagné du salut traditionnel de l'Empire.

« À vos ordres... Ezikwe !»

Les paroles de Nakoyi leur avaient donné la volonté de repousser leurs limites.

Nalora retira du plat de son pouce une gouttelette de larme perlant sur sa joue. Néhémia demeurait hébété, consterné par ce monologue qui l'avait profondément touché. Cela lui remémorait les discours poignants de son capitaine, avant chaque bataille navale contre Krâ-Surnoff.

Aussitôt que Nakoyi se rendit compte de l'impact de ses mots auprès de son entourage, sa timidité revint subitement au galop. Une rougeur s'empara de sa frimousse pendant qu'elle se frottait l'arrière du cou, dissimulée sous la couche de plumage de son masque.

S'en suivit alors le temps des embrassades, des promesses de retour, saupoudrée de larmes jaillies çà et là.

Après un « Bonne chance ! » lâché par les deux équipes, la cohorte de voyageurs prit la route sans se retourner. Un trou béant se créa dès lors dans le cœur de Nakoyi, qui détestait définitivement les moments de séparations. Pour la Warloïte, ils étaient juste synonymes de tristesse, de douleur. Ce, depuis son départ de Warlok jusqu'à cette soirée fatidique qui l'avait arrachée à deux êtres chers.

Elle empoigna fortement chaque côté de sa robe dans ses paumes, en même temps que les silhouettes disparurent dans le gouffre végétal de la forêt. Comme pour apaiser ses démons, une main réconfortante frotta tendrement son dos. La benjamine se détendit sous les caresses de son aînée qui s'agenouilla à sa hauteur, l'entraînant de suite dans une étreinte chaleureuse.

La tête reposée sur l'épaule de la lancière, Nakoyi orienta son regard insondable sur sa gauche. Inconsciemment, son bras tendait en direction de l'allée, jadis, empruntée par ses amis.

Ils reviendront !... Ils me l'ont promis...

Crisis - T1 : La quête des Héritiers [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant