Crisis - T1 : La quête des Héritiers [Terminé]

Chapitre 2 : ... réunis

~ Quelques heures plus tard ~

Zarif, bosquet de bouleaux de Zyack, 20 : 15

Le groupe de mission, composé de quatre Héritiers, profitait de la pleine lune verdâtre qui dérivait d'un des deux satellites naturels d'Allevard. Cette apparition s'accompagnait d'une brume de la même couleur ; comme un serpent, elle s'acheminait en silence à travers la région. Des particules de poussières lumineuses, issues de la mer florale, s'élevaient dans les airs pour disparaître progressivement dans l'atmosphère.

En raison de ces phénomènes nocturnes, les Warloïtes avaient attribué une autre appellation à Zarif : « Wara gnabi ! ». Ce surnom tiré du kanzi ‒ la langue traditionnelle ‒ signifiait « Forêt noctambule ! ».

Perchée sur une branche de bouleau, une jeune fille de onze ans savourait le concerto offert par l'orchestre naturel. Sa robe bleue, parsemée de fleurs, enveloppait sa silhouette gracile. Un manteau carmin, sans manches, orné de motifs, drapait ses épaules délicates, bien que le vêtement ne puisse abriter ses bras de la brise nocturne.

Sa carnation métissée, héritage de l'union entre ses parents, reflétait l'harmonieuse diversité de Warlok. Les habitants de l'Empire s'entremêlaient en une toile multicolore, un reflet qui caractérisait le peuple cosmopolite d'Allevard.

Nakoyi Héthamirân, se nommait-elle.

Perdue dans l'immensité céleste, elle songeait à sa nouvelle vie en tant qu'Ezikwe. Ezikwe... un titre qui lui était destiné dès sa naissance, pour être issue de la lignée du chef des Tchivas qui incarnait le pilier de ce clan glorieux. Rien n'avait pu la préparer à ce qui l'attendait, car aussi bien les responsabilités que les épreuves rencontrées différaient des générations précédentes. C'était à chaque descendant de s'armer de courage et de braver les obstacles propres à son cycle, tout en faisant honneur à son prédécesseur.

À mesure que la fillette admirait la lune verte, ses pensées vagabondèrent à ce jour solennel, lorsqu'elle avait été sacrée par l'impératrice Shinelo, à la Cité Impériale. Un évènement important pour l'Empire, assisté de près par la population, au moyen des médias et des rassemblements.

— Cheffe !

Nakoyi baissa les yeux. Son visage était recouvert d'un masque en bois beige, paré d'une touffe de plumage le long du dos et décoré de cornes d'un mammifère : un masque traditionnel de chef. Son regard insondable rencontra celui de l'Allevardienne, en contrebas.

— Encore une minute et le repas sera prêt ! lui annonça Nalora.

La dénommée Nalora Derryan était l'Héritière d'une des plus grandes familles de lanciers Warloïtes. La jeune femme de dix-sept ans s'attelait à la préparation du dîner à base de tyloars, des mammifères écailleux. Leur chair somptueuse et nourrissante demeurait la récompense accordée à ceux qui risquaient leur vie pour les capturer. Grâce à son agilité hors du commun et ses entraînements réguliers, la lancière avait su venir à bout de cette proie redoutable. Bien que chasseresse implacable, elle possédait aussi un talent pour la cuisine et se chargeait de nourrir la petite troupe de délicieux menus.

Nalora vérifia les tranches de viande, au fumet alléchant et grillées à point. Elle lorgna ensuite par-dessus son épaule. Dos à elle, Hazo Nazav, assis à même l'herbe humide, s'occupait à ses deux passions. 

L'Héritier était un armurier, doublé d'un génie en technologie. Son parcours scolaire le démontrait. À l'âge de douze ans, il fut diplômé de la prestigieuse université de technologie de Warlok. Son entourage n'avait été que peu surpris : la lignée Nazav se hissait au plus haut niveau des ingénieurs de l'Empire, ainsi, son dessein était tracé depuis sa naissance. Entreprendre brusquement la mission du Dianguar, avant d'atteindre son statut de Tchiva, avait cependant bouleversé tous ses rêves d'adolescent. Cela le plongea au cœur même d'un avenir incertain. Un dessein qui n'aurait jamais dû être ni le sien ni celui des autres membres du clan. Toutefois, en dépit des doutes, des appréhensions et de la peur, l'Allevardien avait décidé de revêtir son rôle d'Héritier et de mettre son savoir au service de sa cheffe.

Devant lui gisaient des plans de conception détaillés et des maquettes en tout genre, grâce à une interface tactile tridimensionnelle. Ses yeux bioniques examinaient le prototype qu'il venait de réaliser : un arc à laser. Une lumière bleutée jaillit des marques sur ses mains. Libérant ainsi du Crisis, il matérialisa instantanément l'arme pour établir ses compétences.

D'un tir gauche, la flèche lumineuse traversa une série de trois arbres en un éclair. Hazo grimaça à une faible pointe de douleur ayant fulguré dans son corps. La violence du coup de Khé-Khé avait laissé des traces. Alors qu'il dématérialisait l'arme, le jeune homme se demandait encore comment il avait réussi à survivre à un tel choc.

Perdu dans ses pensées, celui-ci ne remarqua pas la présence de Nalora à ses côtés. Une brassière blanche et un pantalon noir ajusté contribuaient à la légèreté de ses mouvements. Des tatouages de naissance soulignaient les courbes de son corps. Elle replaça son voile brodé rouge par-dessus son épaule, tandis que l'autre extrémité prenait fixation à sa taille. Le tout laissant entrevoir son ventre et son dos dénudés.

Nalora remarquait bien l'humeur anormale de son ami.

— Haz, tout va bien ? Tu as l'air ailleurs depuis ton retour.

— Doc m'a fait passer une salle journée que... j'aimerais oublier...

Pendant ce temps, la coupable Khé-Khé était absente du bosquet. Le jeune médecin avait l'étrange manie de s'aventurer dans la forêt jusque tard dans la nuit. Ses nombreuses escapades nocturnes lui permettaient une meilleure exploration de la diversité florale et, par conséquent, une infinité de potions.

D'une oreille distraite, la curiosité s'empara de Nakoyi.

— Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Hazo se massa l'arête de son nez, avant de leur narrer comment il était à deux doigts de rejoindre ses ancêtres. À la fin du récit, Nalora lâcha un lourd soupir. Il avait encore fait les frais de la force soudaine de Khé-Khé.

— Désolée que tu aies dû subir ça, Haz. Malheureusement, on ne peut pas prévoir à quel moment notre force augmente, confia la guerrière en fixant ses mains. La mienne a encore doublé de puissance, il y a deux jours. D'ailleurs, vous avez remarqué d'autres changements chez vous ?

Le regard de Nalora se dirigea vers Nakoyi, en hauteur.

— Ezikwe ?

« Cheffe ? »

— Ma force n'augmentera jamais, puisque je ne suis pas une guerrière comme vous autres, rappela la fillette, avec une légère tristesse dans le ton. Mais j'ai gagné en agilité. Et je comprends mieux les animaux qu'avant.

Cette nouvelle réjouit Nalora.

— Mais c'est magnifique ! C'est un don rare et incroyable, vous pouvez en être fière, lui assura-t-elle avant de se tourner vers l'armurier. Et toi ?

Hazo se massa l'arrière du cou, tout en effectuant quelques mouvements pour se débarrasser d'un torticolis.

— Bof ! Depuis ce matin, je peux créer des champs de force.

Un énorme pli se forma aussitôt entre ses sourcils.

— Sans ça, je me serais pris le coup mortel de plein fouet.

Nalora arbora un sourire, mais ne releva pas son commentaire. Bien qu'ils ne soient pas du même sang, les lignées du clan Tchiva partageaient un lien puissant : celle d'une grande famille. Ce même état d'esprit que les quatre Héritiers s'évertuaient de préserver.

— Au moins, nous savons tous qu'il faudra un certain temps pour nous habituer à nos facultés. Sans oublier celles qui apparaissent sans prévenir, clarifia Nakoyi depuis son perchoir.

Un point de vue qu'approuvèrent les deux aînés. Les Héritiers ignoraient tout des futures péripéties qu'ils rencontreraient en chemin. Toutefois, ils avaient conscience que leurs pouvoirs seraient d'une grande aide dans leur quête qui s'annonçait périlleuse.

— Maintenant que ce point est classé, pouvons-nous aborder la question la plus importante de cette soirée ? ajouta Hazo, en se tenant sur ses pieds.

— Qui est ? interrogea Nalora, d'un sourcil levé.

— Quand est-ce qu'on bouffe ? J'ai la dalle, moi !