Chapitre 76 (Partie 7)

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Après avoir cueilli des bouquets de fleurs séchées dans le jardin d'Abhainn afin de fleurir les tombes de ses parents, le coffre toujours sous le bras, Gaëlle rejoint Aidan. Il caressait le museau du petit cheval de trait du notaire en attendant le départ. Le faé, lui, ne cessait, on ne sait pourquoi de parler de la politique fiscale actuelle et de ses conséquences sur ce qui semblait être à ses yeux de la plus haute importance : le prix de la bière. En silence, ne souhaitant visiblement pas interrompre son monologue, Brogan rangea le coffret de son amie sous l'un des sièges de la voiture, lui prêta son bras pour qu'elle s'installe à bord le plus confortablement possible et lui couvrit les genoux d'un plaid de laine. Qu'elle vienne ensuite se plaindre qu'il ne se comportait jamais comme un gentleman avec elle ! Quand elle marmonna un merci, il lui accorda un clin d'œil.

- Le vent souffle et nous en aurons pour un moment avant d'atteindre Red House je pense. Ne va pas prendre froid.

Ce fut les derniers mots qu'il prononça avant leur arrivée, après une bonne heure de route, à ce qui un jour été la maison de la famille Shaw. Il semblait avoir ressenti l'angoisse de Gaëlle, ses interrogations et ses dilemmes et avoir décidé de la laisser tranquille, du moins pour l'instant. Abhainn n'avait pas ce genre de scrupule et faisait la conversation pour trois. Il connaissait chaque propriétaire longeant leur route et rien ne semblait tarir le flot d'informations qu'il débitait au sujet de tous les habitants de la région. Aidan hochait la tête lorsqu'il lui adressait la parole, il lui arrivait même de laisser échapper un petit rire, mais la conversation de Lammermoor n'attendait pas de réponse, elle était juste là pour meubler le silence. Cela avait au moins le mérite de permettre à Gaëlle de ne pas avoir à l'alimenter comme aurait dû le faire toute jeune fille bien élevée. Elle n'avait pas la moindre envie de parler du temps ou de la longueur à laquelle les manches se portent en ce moment à Londres. Les demoiselles comme il faut avaient à leur disposition un stock très limité de sujet de discussion. De toute façon, pouvait-on encore la considérer comme faisant encore partie de cette catégorie ?

Elle ruminait de sombres pensées quand la vision du château, car Red House tenait effectivement plus du château que de la maison, la sortit de ses ressassements. Comment son père avait pu imaginer se faire oublier de ses poursuivants en s'installant dans une demeure pareille ? Elle ne put retenir un rire nerveux. Encore aujourd'hui et ce malgré sa toiture effondrée et le lierre qui l'enserrait, elle restait impressionnante. Sa haute silhouette de pierres rouges se découpait comme un phare dans l'océan de bruyères qui couvrait la lande.

Abhainn guida son cheval vers l'entrée, et ils passèrent sous une arche de pierres gravées, se mettant à l'abri du vent d'hiver derrière les hauts murs qui ceinturaient une cour pavée de belle taille. Il y faisait bien plus chaud qu'à l'extérieure. Gaëlle n'attendit pas qu'on l'aide à descendre du buggy. Elle enjamba Aidan, lui écrasant les pieds au passage et sauta au sol avant qu'il n'ait le temps de faire quoi que ce soit. Elle fit le tour de l'endroit des yeux. Comme par réflexe, elle alla pousser les portes de l'enclos. Elle dut tirer, forcer, car elles étaient entourées de ronces mais avec un bruit de ferraille rouillée, elles finirent par pivoter sur les charnières, puis elle abaissa le loquet.

- La porte doit toujours être fermée.

Son père disait cela à chaque fois.

Il avait une voix mélodieuse et il était si grand qu'elle devait rejeter la tête en arrière pour le regarder. Et il resplendissait dans le soleil d'été qui faisait comme une auréole derrière lui. Il posait la main sur ses cheveux et ébouriffait ses boucles rousses en riant.

À bien y réfléchir contrairement à ce qu'avait laissé entendre Lammermoor, son sourire ne ressemblait pas vraiment à celui d'Aidan se souvint-elle alors. À l'époque elle aurait été incapable de le savoir, mais il s'apparentait davantage aux sourires mystérieux des peintures de Léonard de Vinci. Ce devait être un modèle fascinant pour sa mère.

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant