Chapitre 21 - Le plan d'action

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Gaëlle avait installé dans le petit salon attenant à sa chambre un grand panneau de liège sur lequel elle avait épinglé un plan de Londres, le tout fournit par Komang. C'est à peine si elle avait eu le temps de se retourner, qu'il revenait avec ce qu'elle lui avait demandé, punaises, bobines de fil rouge et même de petites épingles surmontées de drapeaux, comme si c'était une demande parfaitement habituelle. Visiblement le fait d'être étranger dans cette ville ne l'empêchait en rien d'être efficace. Bien qu'elle n'y connaisse pas grand-chose, elle était certaine que bien des maisons prestigieuses devaient envier à Brogan son majordome.

Après avoir déposé Arcas à bord du HMS Ménélas, Brogan, qui était chez lui et considérait donc qu'il avait tous les droits, entra sans frapper et examina le travail de Gaëlle. Elle se décida à l'ignorer. Si elle ne lui parlait pas, peut-être quitterait-il la pièce de lui-même. Elle fit une petite prière.

– Tu te compliques la vie, ne serait-il pas plus simple de prendre la liste par ordre alphabétique ou de tout bonnement leur écrire un courrier.

Elle leva ostensiblement les yeux au ciel, le maudissant intérieurement de ne jamais lui accorder ce qu'elle lui demandait.

– Cela prendrait des mois avant qu'ils ne daignent tous me répondre. Non. Je vais effectuer mes recherches par zones géographiques, j'irai en E3 demain. Avais-tu déjà remarqué que les cartes sont découpées en carré et...

– Oui certaines le sont. C'est bien pratique.

– Quoiqu'il en soit demain je rendrais visite aux notaires de ce carré, puis je passerais au E4 et ainsi de suite. Si je me tiens en face d'eux, ces gentlemen ne pourront m'ignorer.

Aidan se laissa tomber dans un fauteuil, croisa les jambes, et poussa un soupir navré en la détaillant sans vergogne.

– Tu es encore si naïve à vingt-quatre ans ! C'est à peine croyable. Bien sûr qu'ils t'ignoreront. Contrairement à ce que tu sembles croire, ils ne seront en rien des gentlemen. Ce sont des gens d'affaires, de contrats, ils seront peut-être bien habillés mais ce n'est qu'une parure, pour donner le change.

– Nourrirais-tu quelques griefs personnels contre les notaires par hasard ?

–Les notaires, les avocats, les hommes de lois en général des sangsues tous autant qu'ils sont. Ils te feront lambiner des heures durant avant de peut-être, éventuellement, t'accorder un instant pour te renvoyer d'où tu viens sans même avoir répondu à la première de tes demandes. Ce sont des gens d'argent, seules les fortunes les intéressent, ton joli minois et tes sourires angéliques ne marcheront pas sur eux. Donc tu prendras deux valets avec toi.

– Non ! Je n'ai pas l'intention de molester des gens pour obtenir des réponses.

– Je n'y avais pas pensé mais cela pourrait marcher. Tu devrais te faire escorter par Blake, un froncement de sourcils de sa part et ils supplieront de pouvoir te rendre service. Mais tu te méprends, ce n'est pas pour cela que je voulais que tu sois accompagnée. Et ce n'est pas non plus pour ta protection dans une ville aussi dangereuse que Londres, bien que cela te sera utile. S'ils pensent que tu as des ressources, ces gens-là te prendront davantage au sérieux et te répondront plus vite dans l'espoir que tu feras un jour appel à eux. Et pense à t'habiller avec soin. Je vais t'ouvrir une ardoise auprès d'une couturière afin que tu te fasses faire quelques vêtements à la dernière mode.

– C'est hors de question !

– Tu me rembourseras plus tard. Je fais un investissement. Si tu es l'air aisée, tu trouveras plus vite. Si tu trouves plus vite, tu seras libre de quitter ma maison si cela te chante.

– J'aurais dû me douter que tes motivations n'avaient rien d'altruistes.

– Tu oublies que je suis un homme occupé, que je travaille pour vivre et que j'ai une mission à remplir de surcroît. Je partage peut-être cette dernière tâche avec les d'Arlon à présent, mais cela ne me décharge pas. Je dois retrouver ces hommes en noirs et venger Jane. Je n'y arriverais pas si une rouquine teigneuse traîne dans la maison à la recherche de son héritage dans le seul but d'épouser mon imbécile de frère.

Il enfouit ses mains dans ses cheveux, saccageant au passage le savant arrangement de boucles pommadées à la dernière mode qui lui couvrait le crâne.

– Je ne resterais pas plus que nécessaire. Tu peux être certain que tu me déranges autant que je t'indispose moi-même. Je te rembourserais dès que je le pourrais des frais que tu as engagés pour moi.

– Ce n'est pas cela qui m'inquiète, voyons ! Et si ce n'était qu'un vain espoir. Y-as-tu pensé ? Ne vaudrait-il pas mieux utiliser ton temps à une activité plus constructive ? Montrer tes œuvres par exemple. Tu as vraiment du talent Gaëlle...

– Il va falloir que tu te mettes en tête que tout n'est pas qu'une question d'argent. C'est d'un vulgaire ! Je ne sais rien de mes parents. Les tiens ont accepté de me prendre sous leur tutelle et j'en remercie le ciel. Je n'ose imaginer où j'aurai terminé sinon. Mais ton père connaissait à peine le mien, je ne sais rien d'eux. Qui étaient-ils ? D'où venaient-ils ? Avaient-ils les mêmes pouvoirs que moi ? Savaient-ils les contrôler ? Peut-être ai-je encore de la famille quelque part ?

– Tu as une famille. Tu nous as nous.

Il avait dit ça en grognant comme si cela lui coûtait de le dire.

Gaëlle lui sourit, sachant bien à quel point il devait se faire violence pour faire un tel aveu.

– C'est la chose la plus gentille que tu ne m'aies jamais dite. Je te remercie.

Elle lui caressa la joue. Il la regarda, surpris. C'était bien la première fois qu'elle avait un geste tendre pour lui.

– Ce n'est pas très original mais comment puis-je savoir qui je suis, sans savoir d'où je viens ? Et que s'est-il passé cette nuit-là ?

De manière inconsciente elle toucha les cicatrices qui lui meurtrissaient les bras.

– J'ai peur de ce que tu découvriras rouquine. Peur d'où cela te mènera.    

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant