Chapitre 33 - Le concours

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Arcas retira son dolman et remonta les manches de sa chemise.

Il y eut quelques murmures dans l'assistance à la vue de ses avant-bras. La plupart des spectateurs s'étaient imaginés que le lieutenant n'était qu'un gringalet doté d'un beau costume, jusque-là, ils n'avaient pas idée de sa carrure. Il n'était peut-être pas le perdant tout désigné de leur petit concours finalement.

Quelques dizaines de militaires se réunissaient autour des caisses sur lesquelles un vieux soldat qui avait dû voir son lot de campagnes, posait des morceaux de métal. Chacun soupesait les risques et les chances des concurrents face à l'impressionnant soldat Cole. D'autres participants furent poussés au centre du cercle et l'excitation des spectateurs commença à monter.

Mr Cole n'était pas un bavard. Mais pendant les préparatifs Arcas finit par réussir à le faire parler et à apprendre qu'il était issu d'une famille d'hercules de foire.

C'était original.

Arcas n'avait jamais croisé de forain jusqu'à présent, cela avait le mérite d'expliquer sa carrure peu commune, il soulevait des poids depuis son plus jeune âge. Il s'était fait soldat pour acquérir un peu de respectabilité, parce qu'il voulait une meilleure vie pour ses enfants, qu'ils aient le choix de devenir ce que bon leur semblait. Le petit dernier, se verrait bien médecin quand il serait grand, et le gamin avait la tête pour, lui dit son père avec fierté. Cet homme était naïf pensa Arcas, et qu'arriverait-il à sa famille s'il laissait la vie dans cette guerre ?

D'abord il avait fallu tordre de petites barres qui avaient dû être dans une autre vie des renforts de malles. Les six participants réussirent l'épreuve sans mal sous les encouragements frénétiques et les ricanements goguenards des spectateurs.

– Pas trop mal aux doigts la grenouille ? Demanda un caporal.

Arcas fit un doigt d'honneur à l'auteur du commentaire.

– Celui-là va très bien, comme tu le vois.

Tout le monde se mit à rire de bon cœur. C'était de bonne guerre.

Lorsqu'on dut tordre des clous, les choses se corsèrent, il y eut le premier abandon, un jeune major qui se leva sous les quolibets et les huées moqueuses. Arcas n'eut pas le moindre souci. Certes, il n'était pas taillé comme une armoire à glace à l'instar Mr Cole et ses poings n'était pas des enclumes comme disait Brogan en parlant de ceux de Joshua Blake, mais il ne s'en laissait pas compter, surtout alors que la pleine lune approchait et qu'une énergie primitive bouillonnait dans ses veines. Il venait de trouver un bon dérivatif à son besoin de violence.

Il y avait de sacrés bonhommes sur ce bateau. Le major McLaren par exemple était petit et râblé, élevé à la dure en Écosse, ses mains étaient noueuses comme des ceps de vignes.

Elles pliaient les bouts de métal avec une efficacité non dénuée de panache. Il roulait des mécaniques, appréciait d'être le centre de l'attention et encourageait ses supporters à faire le maximum de bruit. Il fut plus qu'entendu, puisqu'un homme qui devait être son cousin à moins que ce ne soit son neveu, Arcas n'avait pas saisi, ne trouva rien de mieux à faire que de sortir une cornemuse et de jouer comme un beau diable un air de gigue entraînant. Les pieds frappaient en rythme le pont, quelques officiers commençaient à se mêler à la foule bonne enfant. Il y avait peu de distraction durant un tel périple. Un colonel écossais paria cinq livres que son compatriote battrait le soldat Cole.

– Allez-y colonel si vous voulez nous donner de l'argent, s'amusa le major Sawyer.

Diana se tenait derrière un rouleau de cordes. Elle profitait de la musique et sous ses jupes, son pied marquait le tempo.

Elle profitait du spectacle, mais personne ne la remarquait. Il y a quelques années ce talent pour se dissimuler avait été le seul qu'elle posséda, du moins le seul qui lui fut utile. Si elle se cachait suffisamment bien, on l'oubliait et les brimades cessaient. Les coups aussi.

Une fois veuve et libre des contraintes qu'avaient à subir la majorité des femmes en ce siècle obscur, elle avait tout fait pour contrecarrer sa nature craintive, fruit de deux décennies d'humiliations. Elle voulait apparaître aux yeux des gens. Qui lui interdirait de porter des robes aux couleurs chatoyantes à présent ? Qui la réprimanderait de ne pas être suffisamment ceci ou pas assez cela ou d'être trop aguichante ?

Pourtant, aujourd'hui dans sa tenue d'infirmière grise et sans fioriture, elle se souvenait qu'être invisible avait certains avantages. De là où elle était, elle pouvait voir Harispe d'Arlon et avec quelle décontraction il se mesurait à ces hommes qui ne savaient pas qu'ils n'avaient aucune chance contre lui. Il souriait, parlait avec eux, plaisantait. Ces soldats n'avaient pas le droit au numéro de charme qu'il lui avait servi depuis leur départ de Londres à chaque fois qu'elle avait le malheur de le croiser, les clins d'œil, les moues boudeuses. Le baron ignorait bien sûr qu'il était bien plus séduisant lorsqu'il abandonnait ces artifices. S'il était venu à elle en affichant ce sourire de petit garçon malicieux, elle aurait littéralement fondue sur place. Quel magnifique enfant il avait dû être ! Elle posa la main sur son ventre par réflexe. Elle n'y sentit que l'absence comme à chaque fois depuis toutes ces années et les larmes lui montèrent aux yeux.

Le niveau des épreuves augmentait et comme on devait s'y attendre, les uns après les autres déclaraient forfait. Lorsqu'il fallut tordre un fer à cheval de percheron, le major McLaren abandonna, il n'y avait aucune honte à avoir, on ne s'attendait pas à ce que qui que ce soit en dehors de l'hercule de foire y parvienne, et puis les parieurs se partageraient les cinq livres du colonel Gordon. Plusieurs de ses camarades le félicitèrent et le remercièrent de leur avoir fait gagner un peu d'argent.

Il ne restait que Mr Cole et le lieutenant Harispe d'Arlon qui saisit un fer à cheval et le plia en deux sans autre forme de procès. Diana vit les hommes qui l'avaient accompagné sauter de joie.

Le duel dura encore trois tours. Elle surprit le colosse à pâlir devant le dernier barreau mais il gonfla ses muscles, d'où elle était, elle pouvait voir les tendons de son cou s'étirer sous la peau rougie par l'effort et dégoulinante de sueur. Après une violente expiration, le métal se tordit sous ses mains. Les autres membres de son régiment le congratulèrent. Évidemment le français ne pourrait pas reproduire un tel exploit !

Arcas les regarda un long moment, un petit sourire ourlant le coin de ses lèvres, puis il saisit une barre de fer, il força quelques instants. Peut-être que les autres ne s'en rendait pas compte, mais Diana avait parfaitement conscience que s'il l'avait voulu il pourrait tordre ce bout de fer comme s'il eut s'agit d'une épingle. Mais il n'en fit rien. Il donna le change, jura entre ses dents en secouant sa crinière et finalement s'exclama :

– Je crois bien avoir atteint ma limite Mr Cole.

Il jeta la barre et en riant à gorge déployée, il alla serrer la main du vainqueur.

– Vous êtes un sacré gaillard. Fort comme un cheval. Les russes vont repartir chez leurs petites mamans dès qu'ils vous verront s'ils ont deux sous de jugeote. Nous aurons gagné cette guerre en un rien de temps.

– Vous n'êtes pas en reste, vous m'avez fait peur lieutenant, j'ai bien cru perdre mon record, vous ne sembliez pas du tout souffrir avant le dernier tour.

– Je bluffais mon vieux, je vais avoir les mains pleines d'ampoules dès demain.

– Ah je comprends. Vous vouliez m'avoir par le mental.

– Mais vous êtes bien trop fort pour ça Cole. Maintenant si vous voulez bien m'excuser, je vais aller mettre de la crème sur mes mimines délicates et faire une petite sieste pour me remettre.

Alors qu'il s'éloignait, il entendit :

– Je m'attendais pas à ça d'un nobliau dans son genre. C'est vraiment un bon gars ce p'tit français !

– Ouai ça tu peux le dire, s'exclama Sawyer en faisait cliqueter ses gains dans sa main.

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant